LE
RENOUVEAU
N°
353 DU DIMANCHE 02 AVRIL 2000
POLITIQUE
LE PEUPLE DJIBOUTIEN RESERVE UN ACCUEIL CHALEUREUX ET
MASSIF AU PRESIDENT DINI
Début février
2000. La situation nationale est à tous égards préoccupante.
La guerre civile se révèle bien difficile à éradiquer
: les combattants du FRUD malmènent les troupes gouvernementales
auxquelles ils infligent régulièrement pertes humaines et
dégâts matériels.
Le pays est politiquement
verrouillé comme au plus fort de la guerre froide : les droits de
l'Homme, les libertés publiques et les règles démocratiques
sont foulés au pied, l'opposition civile (regroupée au sein
de l'Opposition Djiboutienne Unifiée : ODU) muselée et systématiquement
réprimée à coups d'exactions et d'emprisonnements.
Ce qui n'empêche d'ailleurs pas cette opposition d'être au fait
de sa popularité.
L'économie
djiboutienne se trouve aux prises avec une crise qui n'en finit point dont
les racines résident dans la mal-gestion des affaires publiques et
la défiance que manifestent les investisseurs crédibles face
à un environnement national d'incertitude politique et de non-droit.
Les graves difficultés financières de l'Etat, dont l'impact
sur la vie économique nationale est à la mesure de son poids
de premier agent économique et de plus gros employeur du pays, affectent
des pans entiers de l'activité économique sous nos cieux.
L'Etat insolvable ne contamine pas que ses agents, envers lesquels il accumule
les arriérés de solde, mais aussi ses fournisseurs locaux
et autres entrepreneurs travaillant pour le compte de l'administration.
Le circuit économique propage les difficultés étatiques
et les amplifie même par son effet multiplicateur. Le paysage économique
s'en trouve singulièrement atrophié.
Or, les conséquences
sociales d'un tel mal économique ne peuvent qu'être lourdes.
Aux agents de l'Etat en situation de survie difficile du fait d'une solde
à la fois drastiquement diminuée et en retard chronique de
plusieurs mois (sept mois actuellement), s'ajoutent des cohortes de nouveaux
chômeurs et autres entrepreneurs en faillite. Ce qui est des plus
graves dans un pays où le chômage sévit à l'état
endémique et où la solidarité (chaque salaire fait
vivre du monde) n'est pas un vain mot.
En ce début
du mois de février 2000, le pays vit donc une situation peu réjouissante.
Une situation si préoccupante que le régime, ainsi pris au
piège de sa propre logique fossoyeuse, s'attire la réprobation
générale au niveau international. Les signaux rouges s'allument
en effet dans tous les domaines : violations des droits de l'Homme, absence
de démocratie, prisons emplies de détenus d'opinion, opacité
de la gestion des deniers publics, tensions aux frontières, un plan
de paix controversé pour la Somalie (lire notre article sur le sujet
dans notre dernière édition)... bref la confiscation de l'Etat
est clairement dénoncée et condamnée comme telle par
la plupart de nos partenaires au développement. Tous expriment leur
indignation à l'égard d'un régime dont l'anachronisme,
à l'ère du village planétaire, d'Internet et d'une
opinion publique mondiale sans cesse plus vigilante, ne peut que heurter
les consciences. D'autant que le système sécrété
par le régime djiboutien produit ses effets jusqu'à l'extérieur
des frontières nationales où il ajoute à l'instabilité
régionale.
Voilà, brossé
à grands traits, dans quel contexte national survient l'accord-cadre
du 7 février 2000 (salué par l'ODU comme une heureuse initiative)
signé à Paris entre le gouvernement en place et le Front pour
la Restauration de l'Unité et de la Démocratie (FRUD) dirigé
par Ahmed Dini Ahmed, grande figure indépendantiste et ancien Premier
Ministre de la République. Un homme d'Etat qui a une haute idée
de la politique.
Surprise au pays
où le commun des mortels n'a enregistré que durcissement dans
le discours comme dans l'action du régime depuis que Monsieur Ismaël
Omar Guelleh a succédé à Monsieur Hassan Gouled Aptidon.
Soulagement surtout tant il est vrai que les Djiboutiens et Djiboutiennes
sont plus que las de la guerre civile et des difficultés généralisées.
Une lueur d'espoir s'allume à l'horizon, pense-t-on, avec cet accord-cadre
qui correspond dans ses grandes lignes aux aspirations populaires. Cessation
des hostilités, libération des prisonniers politiques, réhabilitations-indemnisations
des victimes, réformes, démocratiques, décentralisation,
création d'une cour de compte, sont autant de points majeurs pour
le règlement de la situation de crise que traverse le pays. D'où
également l'enthousiasme national qui se manifeste à l'annonce
du retour du président Ahmed Dini Ahmed au pays.
A l'appel de l'ODU,
dont le FRUD fait d'ailleurs partie à travers le FUOD, la capitale
est donc en effervescence les jours précédant le retour, finalement
fixé au mercredi 29 mars 2000, du président Ahmed Dini Ahmed.
Les Djiboutiens se mobilisent sur l'ensemble du territoire national et convergent
vers la capitale où les habitants vibrent à l'idée
de pouvoir enfin s'exprimer sans avoir à subir, pensent-ils, les
réflexes répressifs des forces de l'ordre. Mobilisation que
le régime, l'on s'en doute, ne voit guère d'un bon il.
La perspective d'une expression nationale massive fait monter en lui l'adrénaline.
Laisser déferler une marrée humaine sur les grandes artères
de la capitale, laisser le peuple manifester dans la rue son ardent désir
de changement, laisser accueillir aussi massivement que chaleureusement
le leader de l'opposition armée (par ailleurs fort de l'unité
de l'opposition), voilà qui ne peut que hérisser les poils
chez les tenants du pouvoir autocratique.
La machine de propagande
se met alors en branle. Tandis que la Radio Télévision de
Djibouti (RTD), si prompte à chanter les vertus de la paix (pourvu
qu'elle relève de la mise en scène) brille par son silence
assourdissant, les agents de propagande distillent les mises en garde. "
Le président Dini sera accueilli par le seul RPP, parti au pouvoir
", " L'on ne vous laissera pas sortir mercredi pour accueillir
Dini", " Les forces de l'ordre sont en état d'alerte pour
vous barrer le chemin "... les petites phrases intimidantes abondent.
Elles vont crescendo à mesure que le retour tant attendu approche.
De sorte que, joignant les actes aux paroles, le régime place ses
forces de répression en état d'alerte dès mardi soir.
" Nous avons ordre d'agir demain ", s'empresse de prévenir
tel officier manieur de matraque, voyant les opposants parachever sereinement
les préparatifs d'accueil.
Mais les opposants
n'en ont cure. Ils ne se soucient pas outre mesure de l'attitude du régime.
Ils sont sûrs de leur bon droit et foncent. Après tout, ils
connaissent bien les agissements moyenâgeux du pouvoir pour les avoir
subis tant et tant de fois.
C'est ainsi que,
dès les premières lueurs du jour, les Djiboutiens jaillissent
en masse de leurs habitations pour se jeter sur les axes menant à
l'itinéraire routier emprunté par le président du FRUD
et sa délégation : Route de l'Aéroport - Boulevard
de Gaulle- Boulevard de la République- Avenue Maréchal Luyautey.
Une véritable marée humaine se met en marche, slogans tout
de maturité politique à la bouche et sur les banderoles :
" Bienvenue au président Dini, un grand homme d'Etat "
; " Dini, l'homme de la paix et de l'unité, tu portes l'espoir
de tout un peuple ", " Nous attendons des réformes démocratiques
" ; " Sans paix civile, point de concorde ni développement
" ; " Pour un Etat de droit et une société juste
et fraternelle, démocratique et prospère ", etc. C'est
toute la capitale qui s'anime d'un mouvement dont la majesté ramène
l'auteur de ces lignes en arrière, en ces années 1975 et 1976
où, alors jeune homme, il ne manquait aucune manifestation pour une
Indépendance qu'il ne pouvait se représenter autrement que
porteuse de lendemains radieux. Un grand jour que ce mercredi.
Panique du côté
du pouvoir. La propagande intimidante, en action à longueur de semaines
et de jours, n'a pas produit ses effets. La dissuasion puérilement
escomptée ne s'est pas réalisée. Que faire ? L'imagination
étant ce qu'elle est en ces venelles poussiéreuses du pouvoir,
l'on s'en remet à l'appareil répressif. Les forces de l'ordre
entrent alors en action. " Chassez le naturel, il revient au galop
", n'est-ce pas ce que dit joliment le proverbe ?
Les voies de communication
empruntées par la masse d'accueillants sont alors fermées.
Le siège du PRD à l'Avenue Nasser, un des hauts lieux de la
résistance civile, d'où le président Daher Ahmed Farah
(DAF) n'a cessé de mobiliser pour l'accueil populaire, est assiégé,
les accès des domiciles des président du FUOD Mahdi Ibrahim
A. God et de l'ODU, Moussa Ahmed Idriss, interdits.
Déterminée,
la marée populaire parvient quand même à ruser et passe
à travers les mailles du filet gendarmo-policier. Se retrouvant massivement
sur le lieu de rendez-vous. L'entrée de l'aéroport est noire
de monde et la Route de l'Aéroport s'emplit progressivement en dépit
de l'hostilité policière. Les accueillants vont jusqu'à
feinter les forces de l'ordre en se transportant massivement sur la route
de la Siesta aux lieu et place des Boulevards de Gaulle et de la République
jugés par trop exposés aux coups de matraque et autres grenades
lacrymogènes des détachements gendarmo-policiers. La jonction
se fait ainsi avec les accueillants de l'Avenue Luyautey.
La mobilisation populaire
est telle que gendarmes et policiers prennent à partie les accueillants
à l'entrée de l'aéroport, les dispersant à coups
de grenades lacrymogènes. Une ménagère du coin, au
retour du marché, se retrouve à terre, son panier volatilisé,
des mères de familles blessées dont les mères du président
DAF, Amina Iyeh Doubad, et de Mohamed Houssein Ali, membre de la délégation
du président Dini. Plusieurs accueillants sont interpellés
par les gendarmes commandés par le jeune chef d'escadron Zakaria
(récemment promu) dont l'ascension donne la mesure de sa fidélité
au pouvoir. Ils ne seront relâchés que plusieurs heures plus
tard pour certains, le lendemain pour d'autres.
Il n'empêche
que les rangs des accueillants se reforment aussitôt, preuve de leur
pugnacité. Si bien que le président Ahmed Dini Ahmed, que
le Haut Conseil de l'ODU n'a pu accueillir à sa descente d'avion
pour cause d'interdiction à l'aéroport, peut aisément
noter la très grande mobilisation populaire et la chaleur de l'accueil
réservé par un peuple assoiffé de paix, de concorde
et de renouveau démocratique. Il salue de sa voiture cette marée
humaine massée jusqu'à son domicile de la Siesta. Qui est
littéralement inondé par une foule en liesse. A l'intérieur
de sa demeure, il prend juste le temps de saluer membres de sa famille,
du Haut Conseil de l'ODU et autres amis djiboutiens. Car il est très
attendu dehors où a été installée une estrade.
Il ressort et prend alors la parole pour remercier toutes et tous de leur
accueil. Parlant de son retour au pays, après neuf ans d'absence,
il déclare qu'il est venu pour l'application des termes de l'accord-cadre
de Paris. Ce qui suppose la poursuite des négociations avec le pouvoir,
le respect des premières dispositions de l'accord telles que la libération
des prisonniers politiques encore détenus à la sinistre prison
de Gabode et la levée de toutes entraves à la libre circulation
des biens et des personnes au nord du pays. Ce qui implique également
un dialogue politique national auquel doit participer l'opposition civile.
Afin qu'enfin, pour reprendre la jolie formule du président Dini,
la politique s'exerce de manière citoyenne dans ce pays.
Cette journée
d'accueil s'achève par un déjeuner de retrouvailles à
la ferme pionnière du premier vice-président du PRD, Mohamed
Ahmed Kassim dit Haïssama, dont la générosité
et la disponibilité ont été particulièrement
utiles pour restaurer un nombre de Djiboutiens et Djiboutiennes bien plus
grand que prévu. Car beaucoup, sans être invités, se
sont laissés aller à la joie du jour, gonflant plus que de
raison les rangs des convives. C'est en fait l'atmosphère de liesse
populaire de la rue qui s'est transportée dans l'espace privé
(et abondamment fleuri) du premier chef de corps et artisan de la gendarmerie
nationale.
Grand jour donc que
ce mercredi 29 mars 2000. Grand jour pour la paix, la concorde, la démocratie
et le développement. Grand jour pour le pays. Il s'agit maintenant
de ne pas manquer ce rendez-vous avec l'histoire : un pays, un peuple, un
projet.
Le monde comme la
nation regardent les décideurs. Et les jugeront. Sans complaisance.
ADMINISTRATION
ZOOM SUR L'ADMINISTRATION DJIBOUTIENNE A TRAVERS LE SORT
RESERVE AU PERSONNEL DE L'ONAC
La liquidation, prononcée par décret présidentiel en
date du 14 août 1999, de l'Office National d'Approvisionnement et
de Commercialisation (ONAC), établissement public dont la mission
était pourtant vitale dans un pays comme le nôtre qui importe
la quasi-totalité des produits nécessaires à ses besoins,
y compris les besoins élémentaires, cette disparition officialisée
donc de l'ONAC plongeait son personnel (de plus de trente personnes) dans
la détresse. Outre que cette mise en liquidation créait un
grand vide, livrant les consommateurs que nous sommes à la merci
des commerçants locaux dont la propension aux marges bénéficiaires
excessives n'est que trop connue (situation facilitée par l'état
quasiment monopolistique des marchés des produits de consommation
courante où quelques importateurs se partagent les principales marchandises),
elle s'abattait comme une épée de Démoclès sur
le personnel. L'espoir caressé durant toutes ces années où
l'ONAC agonisait par suite d'un mal appelé mauvaise gestion, s'est
soudain brisé sous le choc de la terrible nouvelle. D'un instant
à l'autre, des hommes et des femmes, de toutes catégories
socio-professionnelles, pour la plupart en service depuis longtemps, se
sont retrouvés sans ressources.
Par réflexe
de survie, ils se sont adressés aux membres du gouvernement par un
courrier en date du 8 septembre 1999 aux Ministre des Finances et de l'Economie
nationale, chargé de la Privatisation, avec copie aux Premier Ministre,
Ministre de Affaires présidentielles, Ministre de l'Emploi, Ministre
du Commerce.
Ils exposaient leur
situation et sollicitaient de l'attention. Ils pensaient que le gouvernement
devait assumer ses responsabilités et trouver une solution. Dans
le même mouvement, ils ont demandé de l'aide alimentaire au
Ministre de l'Intérieur sous l'autorité duquel est placé
" l'Office National d'Assistance aux Réfugiés et Sinistrés
(ONARS) ". En vain. Aucune de ces démarches n'a pu aboutir :seule
réponse, le liquidateur de l'ONAC, Monsieur Mohamed Sikieh Kayad,
directeur des Affaires économiques au Ministère des Finances
et de l'Economie, les informe de l'impossibilité du règlement
de leurs indemnités, subordonné à la vente des actifs
de l'ONAC qui, écrit-il, est en cours : au moment où nous
publions cet article, la vente des actifs de l'ONAC est toujours en cours,
les entrepôts sont utilisés par l'UNFD et certains de ses véhicules
toujours en circulation.
Les agents de l'ONAC
saisissent alors la Présidence de la République en écrivant
directement à Monsieur Ismaël Omar Guelleh par courrier daté
du 8 novembre 1999. Devant le silence, ils le relancent par une autre lettre,
rappelant leur sort peu enviable. C'est alors que, le 27 janvier 2000, leur
répond le Ministre des Affaires présidentielles, qui leur
apprend que " le chef de l'Etat a expressément chargé
le Ministre des Finances du règlement de la question ".
Fort de ces assurances,
les employés de l'ONAC prennent de nouveau la direction du Ministère
des Finances et de l'Economie, chargé de la Privatisation. Ils se
heurtent à l'attitude qu'ils jugent peu apaisante du Ministre qui
ne cache pas son agacement. Osent-ils insister qu'il s'en prend à
leur représentant. Celui-ci y laisse d'ailleurs ses lunettes de vue,
brisées au cours de l'empoignade ministérielle. Ne comprenant
plus rien, ils se retournent vers le Chef de l'Etat, Ismaël Omar Guelleh,
en lui écrivant de nouveau une lettre datée du 10 février
2000 où ils font état de leur déception, liée
notamment à l'attitude du Ministre des Finances et de l'Economie
nationale. Mention est même faite dans ce courrier du bris des lunettes
du délégué du personnel de l'ONAC Monsieur Ali Hassan
Aïnan. Cette correspondance est restée sans effet.
Devant cette situation,
le personnel, désespéré, n'a pu s'empêcher de
saisir à nouveau le Chef de l'Etat dans un courrier en date du 18
mars 2000 (lire en fin de journal). Dans cette énième lettre,
il lui rappelle son sort déplorable. " Tous nos efforts et démarches,
écrivent les employés de l'ONAC, pour faire valoir nos droits
sont restés vains. Par conséquent, nos familles sombrent et
vivent dans une misère et un dénuement indescriptibles ; nous
sommes dans l'impossibilité de leur procurer jusqu'à la nourriture.
Nos enfants connaissent une scolarité perturbée car affamés
et en haillons ". Ils espèrent encore, sans trop d'illusions,
une suite.
Voilà où
en sont les agents de l'ONAC près d'un an après la mise en
liquidation de l'établissement public qui les employait. Les difficultés
rencontrées et le sort où ils ont été précipités
témoignent de l'état de délabrement avancé de
notre administration. Une administration et des décideurs devenus
si prédateurs, si avides, que les malheurs des administrés
leur indiffèrent. Tout le pays peut périr, cela leur importe
peu. L'essentiel, c'est leur ventre. Se servir, non servir, voilà
le mobile, visiblement le seul, qui les anime.
Les résultats
n'en sont que catastrophiques. Comme nous les voyons au quotidien. Comme
nous les subissons tous les jours. Comme l'illustre jusqu'à l'absurde
la situation peu enviable du personnel de l'ONAC. Tel un arrêt sur
image.
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