LE RENOUVEAU
N°
370 du Jeudi 3 août 2000
POLITIQUE
LA POLITIQUE
C'EST L'ART DE
SERVIR LE BIEN COMMUN, NON DE S'EN SERVIR
La politique,
voilà un terme fort familier à la quasi-totalité
des habitants de notre planète. Un mot si courant que tout le
monde donne l'impression de le connaître en le maniant dans son
discours. Un mot dont beaucoup se réclament du concept signifié
et dont ils tirent le titre ronflant de " politicien ".
Surtout sous nos cieux où le terme est si omniprésent
dans les joutes verbales et autres écrits de circonstance de
nomades en citadinisation que nous sommes. Notre petit pays a en effet
cette curieuse particularité que l'on naît si facilement
à la politique, par le hasard des circonstances. Hier sous le
règne colonial comme aujourd'hui en autocratie post-coloniale
! L'on se dit " politicien " parce que l'on a été
coopté par le prince du moment à telle ou telle sinécure.
L'on s'autoproclame " homme politique " parce que l'on est
choisi par le piètre calcul doseur de l'autocrate, qui répond
juste à ses soucis de l'instant. C'est-à-dire choisi par
l'obsession de pérennité d'un chef qui a confisqué
le pouvoir d'Etat pour son profit personnel.
Il n'est pas sûr que cette espèce de politiciens, de loin
la plus nombreuse en terre djiboutienne, réponde aux critères
qui confèrent la qualité revendiquée. Il n'est
pas certain qu'ils répondent, par leur avènement comme
par leur action, à la définition universellement partagée
de la politique : laquelle, dit-on, est l'art de gérer la cité,
c'est-à-dire la collectivité. Cette idée renvoie
immédiatement, on le voit, à une autre notion qui y est
intimement liée : l'intérêt général
ou le bien commun. En effet, gérer la collectivité, ce
n'est point soumettre tel groupe au profit de tel autre, encore moins
contrôler l'ensemble pour son intérêt personnel,
ni semer la discorde au sein de la société. C'est faire
en sorte que la collectivité fonctionne harmonieusement et permette
l'épanouissement de tous ses membres dans la paix et la concorde.
En d'autres termes, c'est faire en sorte que l'intérêt
général (le bien commun) prime l'intérêt
particulier dont il fixe les limites au nom de la survie, du bien-être
et du bonheur collectifs. Ce qui importe c'est non point que tel groupe
ou individu respire une aisance et un pouvoir indus mais que tous les
membres de la société se sentent bien membres de la collectivité,
en droits comme en devoirs, et en adhèrent au devenir. Les différences
de situation (grâce à l'égalité initiale
des chances) ne s'expliquant que par le mérite et la valeur intrinsèque
de chacun et de chacune.
L'intérêt général (ou le bien commun) fonde
donc la politique qui est un art fort difficile à exercer. Difficile
parce que, précisément, il a pour rôle d'organiser
et de faire fonctionner cet intérêt général
(par les lois et règlements, les infrastructures et autres équipements,
la justice sociale et la concorde nationale, le respect des droits de
l'Homme
le tout sous-tendu par un projet de société
démocratique et fédérateur), ce bien commun donc,
au mieux des aspirations du peuple.
Voilà pourquoi la politique requiert d'entrée de jeu une
clairvoyance, un niveau de connaissances ainsi que des convictions et
des qualités humaines reconnues. Voilà pourquoi la politique
exige un engagement résolu qui mette à l'épreuve
des réalités celle ou celui qui aspire à des responsabilités
publiques. Voilà comment elle diffère de la détestable
et dangereuse prédation du bien commun ou de la vulgaire ambition
alimentaire. La première (politique) sert le bien commun, les
deux autres s'en servent. Leur essence est fondamentalement antinomique.
Alors, est politicien qui veut ?
Pour clore ce bref rappel, nous vous invitons à lire en fin de
journal la mise au point du président du FRUD, Ahmed Dini Ahmed,
en réponse à une certaine conception de la politique,
conception que nous ne partageons naturellement point.
ENVIRONNEMENT
& SOCIETE
MENACES SUR
DORALEH
La petite région
côtière de Doraleh, réputée pour la beauté
de ses plages (Doraleh, Khor Ambado) et la fraîcheur de son lait
de chamelle, cette petite localité se trouve menacée.
Sérieusement menacée.
Les menaces auxquelles Doraleh est confrontée sont de plusieurs
ordres. La première ce sont les assauts répétés
des engins de Travaux Publics de terrassement qui viennent démolir
les petites collines caractéristiques de la zone. Pelles mécaniques
et camions-bennes sont en effet en action dans le secteur. Les pelleteuses
creusent impitoyablement les flancs des coteaux enserrant la route reliant
la capitale à la localité, route qui vient se perdre dans
les sables fins de la plage de Doraleh. Elles prélèvent
des quantités astronomiques de terre qu'elles déversent
sur les bennes d'énormes camions, immatriculés B comme
elles, chargés de les transporter à destination. Les pelleteuses
se montrent si frénétiques qu'elles laissent de gigantesques
trous s'étendant sur des centaines de mètres le long de
la route. Ils en viennent même, souvent, à toucher les
couches portantes de la route, créant un spectacle désolant
où les poteaux téléphoniques, dépouillés
de la terre protectrice, tiennent à peine débout et où
la chaussée est désormais livrée à l'action
destructrice des eaux pluviales.
Pour les poteaux téléphoniques, il suffit d'un accès
de vent quelque peu fort pour que les lignes de communication s'effondrent.
Quant à la route, déjà défoncée en
maints endroits par manque d'entretien, elle est en proie au ravinement.
En effet, les eaux pluviales dont les prochaines pluies rempliront les
énormes trous béants, ne tarderont point à raviner
les couches de terre soutenant la chaussée qui, ainsi fragilisée,
partira en lambeaux. Les effets de la circulation se conjuguant avec
l'action des eaux pluviales, la route finira même par disparaître
purement et simplement, laissant à sa place des trous infranchissables
par les véhicules. Inutile de dire que Doraleh, privée
de sa seule route, se retrouvera coupée de la capitale comme
du reste du pays. Inutile de dire que les Doraléens, qui dépendent
pour leur survie de la capitale et des baigneurs de ses plages, seront
sinistrés. De même que les nombreux baigneurs djiboutiens
qui fuient la canicule de la capitale et la pollution de ses plages,
en seront sérieusement affectés.
Renseignement pris, il semble que ces tonnes de terre dangereusement
arrachées au fragile équilibre écologique de Doraleh
soient destinées à la somptueuse route privée de
Monsieur Ismaël Omar Guelleh : elle relie la tribune officielle
qu'il s'est fait installer en bordure de la route de l'Aéroport
à sa cossue résidence privée de Haramouss ! Est-ce
à dire que le confort tout personnel de Monsieur Guelleh prime
la survie, déjà problématique, des misérables
Doraléens ?
Nous vous rappelons ce que nous écrivions récemment sur
le sujet :
La localité de Doraleh, connue pour ses dromadaires et son lait
de chamelle, se plaint amèrement. Elle se plaint de ces camions
bennes des Travaux Publics et autres qui viennent piller la terre locale
et mettent en danger le fragile équilibre écologique de
Doraleh. Ces camionnées de terre, prélevées à
coups de pelle mécanique, creusent des trous énormes dans
la zone et anéantissent des flancs entiers de collines.
Renseignement pris, ces remblais seraient destinés à la
construction d'une route reliant la Route de l'Aéroport au quartier
cossu de Haramouss où se trouve la résidence somptueuse
de Monsieur Ismaël Omar Guelleh. Route dont l'utilité semble
limitée au seul usage des habitants nantis du quartier Haramouss.
Alors, s'agit-il de sacrifier Doraleh au confort de quelques grassouillets
dignitaires ?
Par ailleurs, Doraleh se plaint de la faible réglementation des
cimetières islamiques sous nos cieux. Cette situation provoque
en effet à Doraleh des inhumations désordonnées
qui sèment des tombeaux partout et réduisent d'autant
l'espace vital dont vivent les Doraléens.
Alors, à quand la fin des inhumations anarchiques ?
En tout cas, comme un malheur arrive rarement seul, la région
de Doraleh connaît une autre menace non moins grave. Il s'agit
des inhumations anarchiques des morts qui, malgré l'aménagement
d'un cimetière islamique au PK12, continuent dans le secteur.
Le taux de mortalité étant ce qu'il est sous nos cieux,
c'est-à-dire des plus élevés au monde du fait de
notre artificiel sous-développement, l'espace vital doraléen
est ici aussi menacé, englouti au fil des tombeaux. " A
l'allure où vont ces inhumations sauvages, prédit un habitant
qui sait de quoi il parle, il n'y aura plus bientôt d'espace pour
notre bétail ni pour nos campements ". Autant dire que Doraleh
ne sera plus qu'un tentaculaire cimetière, si rien n'est fait
d'urgence.
Il est évident que cette situation est directement liée
à l'inertie des pouvoirs publics. Le district de Djibouti et
le ministère de l'Intérieur dont relève administrativement
Doraleh ne prennent pas les mesures de police nécessaires pour
préserver la région. Incroyable. D'autant plus incroyable
qu'un imposant détachement de police est niché au cur
de Doraleh. Pourquoi ne pas le mettre à contribution pour veiller
sur les lieux en les protégeant à la fois contre les engins
destructeurs des Travaux Publics et les inhumations anarchiques ? Pourquoi
ne pas sensibiliser la population sur les ondes de la Radio et les antennes
de la Télévision sur l'interdiction des inhumations à
Doraleh ? Pourquoi laisser faire ? Pourquoi
?
Voilà quel sort est réservé à la paisible
et coquette petite région doraléenne. En fait de développement
compatible avec son fragile environnement, où résiste
encore notre savoir-survivre pastoral, Doraleh se voit jetée
en pâture aux assauts des engins bêtement fossoyeurs et
autres coups de pioches des inhumeurs irréfléchis !
Face à une telle situation, la parole appartient désormais
aux Doraléens. Ou plutôt à leur instinct de survie.
Réagir ou disparaître, tel est le choix désormais
laissé à Doraleh !
ENVIRONNEMENT
- SANTE :
CE QUE NOUS
ECRIVIONS : CES EAUX DE LA MORT
Elles sont là
immobiles, stagnantes, nauséabondes et de couleur indescriptible
à force de dégradation. Elles serpentent à travers
les artères de la capitale ou, plutôt, des quartiers populaires
et populeux. Il y en a tout au long de l'Avenue Nasser, de l'Avenue
Guelleh Betel, de la route longeant le cimetière pour relier
Guelleh Betel à la Route d'Arta. Elles traversent le boulevard
de Gaulle et la route de la Siesta pour approcher la mer sans y jeter.
En de nombreux endroits, elles sont bien visibles parce qu'à
ciel ouvert et sont encore plus chargées qu'ailleurs. Chargées
de toutes sortes de matières et de liquides.
Elles, vous les avez certainement devinées tant elles meublent
vos mauvais rêves, ce sont les eaux dites pluviales. Elles infectent
l'environnement urbain et populaire depuis déjà quelques
années. Exactement depuis qu'une certaine société
du nom de SADE a couché des canalisations (dont la qualité
est d'ailleurs controversée) un peu partout dans la basse ville
dans le cadre de ce que l'on appelle le Projet de Développement
Urbain de Djibouti (PDUD). Moyennant des centaines de millions de nos
francs, bien sûr.
" Il s'agit, nous expliquait-on l'époque, de mettre en place
le réseau d'évacuation des eaux pluviales qui fait cruellement
défaut à la capitale ", non sans une forte dose de
fierté dans la parole comme dans le geste. Et sincèrement,
nous en éprouvions un immense soulagement à l'idée
de ne plus avoir à patauger dans la boue et l'eau trouble à
chaque saison des pluies. " Enfin, nous réjouissions-nous,
nous ne subirons plus le spectacle insoutenable de cloaque immense auquel
nous a habitués la capitale aux lendemains des précipitations
".
C'était crier victoire trop tôt. C'était oublier
l'incurie de nos gouvernants. C'était prendre nos rêves
pour la réalité.
En effet, les travaux se sont un jour arrêtés. Comme cela,
brutalement. L'entreprise a attendu quelques temps, puis plié
bagages. Pourquoi ? Nous apprenons que c'est pour une sordide histoire
de contrepartie budgétaire (20% du projet) que le gouvernement
n'a pu ou voulu honorer pour que le projet aille à son terme.
Les bailleurs de fonds ont alors suspendu leurs décaissements
(versements de fonds) par mesure de rétorsion à l'Etat
de Djibouti qui n'a pas honoré ses engagements (la fameuse contrepartie)
dans ce projet.
La joie populaire aura été de courte durée, car
ce qui devait soulager les habitants des quartiers populaires et populeux,
ce qui devait les sauver des inondations boueuses et nauséeuses,
a vite tourné au cauchemar, puis à l'enfer.
Au cauchemar d'abord, du fait de ces conduites qui captent les eaux
pluviales et les conservent indéfiniment en leur sein. Recevant
en sus partout où elles n'ont pas été refermées,
eaux usées et autres rebuts urbains. De sorte qu'elles finissent
par former un véritable réservoir d'agents pathogènes
en tous genres qui ne se privent pas du plaisir de partir à l'assaut
de la Cité-Etat.
Mais, comme un malheur n'arrive pas seul, par une perversion rppienne
(du RPP, parti au pouvoir) des choses, la période des pluies,
où le réseau en question devait initialement jouer son
rôle évacuateur et ainsi soulager la ville de ces eaux
du ciel tombées, est devenue synonyme de massacre et d'enfer.
Surtout pour les enfants que la mort happe. En se mouvant dans les flaques
d'eau, les petits tombent dans les conduites à ciel ouvert où
ils ne se noient à mort. Chaque saison des pluies emporte ainsi,
à jamais, plusieurs êtres innocents. Tragique...
Voilà comment les eaux du salut sont devenues les eaux de la
mort. Par la magie morbide de la mal-gouvernance. Sans que, dans l'état
actuel des choses, l'espoir d'y échapper ne se profile à
l'horizon...
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