Avocats sans Frontières
asbl

RAPPORT MISSION DJIBOUTI : 13 au 17 FEVRIER 1999 PROCES DE Me AREF
mission effectuée par:
Anne Monseu, administrateur ASF
Belgique

Maître Anne Monseu,
membre des barreaux de Bruxelles et de Paris
a obtenu un visa auprès
de l'Ambassade de Djibouti à Bruxelles.
Elle a assisté au procès de Maître Aref le 15 février,
mais elle n'a pas été autorisée à plaider,
en contradiction avec les termes
de la Convention franco-djiboutienne d'assistance judiciaire

1 . Situation politique
2. Qui est Me AREF ?
3 . Pourqoi un procès ?
4. Une parodie de procès le 15.02.99

Sommaire
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Maître AREF, prisonnier politique ?
Le ministre s'attaque à Mme AREF
Liste des prisonniers politiques
Lettre de l'ARDHD
à M C. JOSSELIN

La torture à Djibouti
Actualité des trois mois
Interview - Gouled APTIDON

La poudrière djiboutienne
L'europe a le pouvoir d'agir
Lettre de Me MONTEBOURG
Demande de mise en liberté provisoire
Plainte de l'Association
Djibouti - un état de non-droit
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Bibliographie
L'ARDHD
L'AFADD

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La manifestation
du 12 mars

I. SITUATION POLITIQUE :

Des élections présidentielles auront lieu le 9 avril prochain.
Le parti du Président de la république Hassan GOULED (R.P.P., Rassemblement Populaire pour le Progrès) a eu droit à plus de 6 heures d'antenne pour présenter son programme le 11 février dernier.
Le neveu du Président, I.O.G (Ismaël Omar Guelleh), chef du service de sécurité, dirige le pays depuis plusieurs années et sera le candidat officiel du parti au pouvoir (le Président ne se représentant pas).
Quant à l'opposition, celle-ci est muselée: elle n'a aucun droit d'antenne et la manifestation du vendredi 12 février, pour faire connaître son programme a été sévèrement réprimée par les forces de l'ordre, alors qu'elle avait été autorisée par le Ministre de l'Intérieur (mise en garde à vue des personnalités de l'opposition dont Me Aref, etc..

La rumeur publique a décidé que Me Aref serait le candidat de l'opposition pour les présidentielles, raison pour laquelle un mandat de dépôt a été décerné à l'audience du 15 février.

De nombreuses personnalités politiques sont déchues de leurs droits civiques et politiques ou incarcérées, pour avoir oser dénoncer l'Etat autoritaire au pouvoir.

II. QUI EST Me AREF?

Me Aref est avocat au Barreau de Djibouti, militant bien connu des Droits de l'Homme en Afrique depuis plus de 20 ans. Il s'est illustré par ses prises de position en faveur des prisonniers politiques dont il a assuré la défense.
Il a passé 18 mois en prison en 1991-92, pour ses prises de position courageuses, avant d'être finalement acquitté par le Tribunal de Sûreté de la république, sous la pression de la communauté internationale.

En décembre 1998, Me Aref s'est vu confisquer illégalement son passeport à l'aéroport de Djibouti, alors qu'il devait se rendre à Paris pour les cérémonies du 50° anniversaire de la Déclaration des Droits de l'homme : il devait intervenir pour dénoncer la violation des droits de l'Homme à Djibouti.
Me Aref a effectué différentes missions pour Amnesty International;

Depuis 1997, il a fait l'objet d'une suspension temporaire d'exercer, à la demande du Procureur Général, dans le cadre du procès en cours.

III. POURQUOI UN PROCES ?

Officiellement, Me Aref est poursuivi pour tentative d'escroquerie au détriment de ses clients, dans une affaire commerciale remontant à 1994. Les faits, sont totalement contestés par la défense.
Il s'agit de la vente aux enchères de la cargaison d'un cargo, dont la mise à prix ne pouvait être inférieure à 1 300 000 $ US. La veille de la vente aux enchères, le 14.8.1994, un accord intervient entre les parties, et il est décidé, de commun accord de reporter la vente.
Le 15.8.1994, Me Aref sollicite le report de la vente en raison de l'accord intervenu. Le juge de l'adjudication, outrepassant ses pouvoirs:

1 - refuse de reporter la vente;
2 - procède à la vente à un prix inférieur au prix de réserve fixé à 1300 000 $ US.


Me Aref, seul avocat présent à l'audience, tente de limiter les dégâts en enchérissant au prix de 1 000 000 $ US pour une société présente (Ce montant correspondait au montant de la créance de ses clients);

Si Me Aref n'avait pas enchéri au prix de 1 000 000 $ US, le juge qui n'était plus à une irrégularité près, aurait procédé à la vente des marchandises' pour un prix bien inférieur.

La Cour d'appel de Djibouti, dans un arrêt du 4.9.1994 a annulé la vente, pour excès de pouvoir du Juge de I'adjudication :

"Le juge n'avait pas la possibilité de procéder a la vente malgré la demande de report formulée par les parties;
Le juge de l'adjudication ne pouvait, de sa propre autorité, fixer la mise à prix à un taux inférieur que celui prévu par l'ordonnance; Le juge ne pouvait que renvoyer la cause;
Le juge de l'adjudication. a outrepassé ses pouvoirs, et dénaturé la vente volontaire pour laquelle il était saisi... en une vente publique forcée par la justice, et qu'il aurait pu mener librement."


Si des irrégularités ont été commises, elles sont dues uniquement au juge et non à Me Aref. Le pouvoir judiciaire s'est servi de cette affaire pour faire tomber Me Aref dans un véritable piège. En tant qu'avocat de la défense, j'ai pu constater que ce procès n'était qu'une parodie de justice.

IV PARODIE DE PROCES LE 15.2.1999 :
devant le Tribunal Correctionnel de Djibouti.

Il est particulièrement révélateur de préciser que:


1. Aucune plainte pénale n'a jamais été déposée par les clients étrangers de Me Aref ( seule une plainte disciplinaire a été adressé par les clients de Me Aref, via un cabinet londonien, 7 mois après les faits); la plainte avait été classée par le Bâtonnier en exercice;


2. Il n'y a jamais eu la moindre constitution de partie civile dans ce dossier, et pour cause, celle-ci n'a subi aucun préjudice, la vente ayant été annulée par la Cour d'appel le 4.9.1994.


 

Les droits de la défense ont été allègrement bafoués :
Me Aref a fait appel à plusieurs avocats français et belges ainsi qu'à l'Association. Avocats Sans Frontières, pour l'assister aux côtés de Me OMAR, du barreau de Djibouti.
Aucun des avocats français n'a pu obtenir de visa. Me JASPIS, Avocats Sans Frontières Belgique, a pu obtenir un visa, mais n'a pas obtenu 1'autorisation de plaider du Ministre de la Justice de Djibouti.


Les autorités djiboutiennes ne délivrent plus de visa aux avocats français, qui se font l'écho d'une justice dont l'indépendance est très contestable.

Me Anne MONSEU, Avocats Sans Frontières Belgique, a obtenu un. visa à Bruxelles avec son passeport français. Conformément à l'article 21 de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale du 27.9.1986, publiée au J.O. le 21.8.1992, entre la République de Djibouti et la France, Me Monseu, en tant qu'avocat français (Barreau de Paris) n'avait pas à demander l'autorisation 'de plaider au Ministre. de la Justice..

Cette convention internationale prévoit que les avocats membres d'un barreau français, peuvent, à l'occasion de toute procédure relative à une infraction, assister les parties devant les juridictions de Djibouti, dans les mêmes conditions que les avocats du barreau de Djibouti.

L'article.17 de la loi interne de Djibouti du 15.2.1987, qui prévoit que les avocats étrangers doivent solliciter l'autorisation du Ministre de la Justice pour plaider, ne s'applique pas aux avocats français, puisque les conventions internationales ont une autorité supérieure aux lois internes.

Or, Me Monseu a été empêchée de plaider à l'audience, puisqu'elle n'avait pas demandé l'autorisation du Ministre de la Justice, Seul Me Omar a pu plaider.

1. Ce procès ne pouvait se dérouler tant que la Cour Suprême. saisie d'un recours en annulation de la procédure. ne s'était pas prononcée :
Ce procès a été renvoyé à plusieurs reprises dans l'attente de l'arrêt de la Cour Suprême, saisie par Me Aref, d'un recours en annulation de la procédure.

Par courrier du 29.10.1997, le Procureur de la République avait écrit: ".le tribunal correctionnel ne pourra statuer tant que la Cour Suprême n'aura pas rendu son arrêt dans le cadre du pourvoi formé par Me Aref, contre l'arrêt de la chambre d'accusation du 13.2.1997".

Le 24.1.1998, le Procureur Général écrivait: "La Cour Suprême n 'ayant pas statué sur le recours de Me Aref, il ne sera pas possible que l'affaire soit plaidée le 9.2.1998 devant le Tribunal correctionnel et sera certainement renvoyée à une date ultérieure.

Le tribunal avait donc renvoyé l'affaire sine die dans l'attente de l'arrêt de la Cour Suprême.

Or, à l'audience de ce 15 février, le Procureur de la République, qui a admis qu'il n'y avait aucun élément nouveau dans le dossier, a cependant décidé qu'il était impératif que ce dossier soit plaidé de toute urgence le jour même, cette affaire ayant trop traîné.

Le Tribunal a donc passé outre la demande de Me Aref et de ses conseils de renvoyer l'affaire, n'hésitant pas à rendre une décision en quelques minutes, décision, qui pourra être contraire à l'arrêt de la Cour Suprême....

2. Plus de 12 moyens de nullités ont été soulevés par la défense de Me Aref :
Des conclusions de 50 pages ont été déposées depuis l'audience du 9 octobre 1997: Ces conclusions développent de nombreuses violations flagrantes des règles de procédure.

Il n'a été tenu compte d'aucun des moyens de nullité soulevés (incompétence du Procureur Général, nullité du réquisitoire introductif, nullité de l'ordonnance de renvoi, nullité pour violation des droits de la défense, etc....)

Le Tribunal n'a même pas lu les conclusions. 4. sur le fond, le délit de tentative d'escroquerie n'était absolument pas constitué.

Le Procureur (très arrogant) a décidé que le délit était constitué, qu'il s'agissait d'une escroquerie "crapuleuse", qui devait être sévèrement réprimée: selon les dires du Procureur, Me Aref aurait perçu des honoraires de la partie pour laquelle il avait enchéri, et ceci au détriment de ses clients.

Or, les éléments constitutifs de l'escroquerie n'existent pas en l'espèce.

Si tentative d'escroquerie il y a eu, celle-ci ne peut être reprochée qu'au juge de l'adjudication et non à Me Aref, qui n'a fait que son devoir.

4. Les réquisitions du Procureur étaient infondées en droit et en fait :
Le Procureur DJAMA SOULEIMAN n'a pas hésité à ne dire que des inepties à l'audience...


il a également violé les règles de droit et de procédure les plus élémentaires, en faisant fi du Code Pénal et du Code de Procédure Pénal djiboutien.

Le Procureur a affiché un mépris total envers la défense : "ces avocats étrangers qui se mêlent de ce qui ne les regardent pas" et envers toutes les organisations internationales humanitaires.

5. le jugement a été rendu sur le champ, après un délibéré de 5 minutes :
Après plus de 3 heures 30 de procès, suspension d'audience pour mise en délibéré, et verdict 5 minutes plus tard, la décision tombe: 2 ans d'emprisonnement, dont 6 mois ferme, avec mandat de dépôt à l'audience, alors qu'aucune infraction pénale ne peut être reprochée à Me Aref, sur base du dossier et des pièces.


Pendant le délibéré qui n'a duré que 5 minutes, le Président du Tribunal fumait dans le couloir, preuve supplémentaire que la décision était prise avant même que l'audience ne commence (décision dictée par les plus hautes autorités).

Toute la population de Djibouti savait en effet que si l'affaire était plaidée le 15 février, un mandat de dépôt serait décerné à l'audience.

6. détention inhumaine de Me Aref en plein soleil:
A l'issue de l'audience, Me Aref est emmené à la prison de Gabode où il est détenu dans des conditions exécrables et inhumaines : il est enfermé dans une cellule d'à peine 1m2, WC à la turque, à ciel ouvert (plus de 30° 1a journée), infestée de cafards et de moustiques, dans laquelle il ne peut même pas se coucher.

Il ne peut jamais sortir de sa cellule. Ces cellules sont réservées aux individus les plus dangereux et aux déments.

Il est illusoire de survivre longtemps dans de telles conditions de détention.

Le Procureur DJAMA SOULEIMAN a déclaré à la télévision de Djibouti que les conditions de détention de Me Aref seraient très sévères en raison de la gravité des faits !

Jusqu'à ce jour, Me Aref est interdit de toute visite
à l'exception de celles de Me Omar,
alors que traditionnellement, le vendredi,
la famille est autorisée à rendre visite aux détenus


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