LE
RENOUVEAU
N°
357 du
Jeudi 27 Avril 2000
ENVIRONNEMENT - SANTE
CES EAUX DE LA
MORT
Elles sont là immobiles, stagnantes, nauséabondes et de couleur
indescriptible à force de dégradation. Elles serpentent à
travers les artères de la capitale ou, plutôt, des quartiers
populaires et populeux. Il y en a tout au long de l'Avenue Nasser, de l'Avenue
Guelleh Betel, de la route longeant le cimetière pour relier Guelleh
Betel à la Route d'Arta. Elles traversent le boulevard de Gaulle
et la route de la Siesta pour approcher la mer sans y jeter. En de nombreux
endroits, elles sont bien visibles parce qu'à ciel ouvert et sont
encore plus chargées qu'ailleurs. Chargées de toutes sortes
de matières et de liquides.
Elles, vous les avez
certainement devinées tant elles meublent vos mauvais rêves,
ce sont les eaux dites pluviales. Elles infectent l'environnement urbain
et populaire depuis déjà quelques années. Exactement
depuis qu'une certaine société du nom de SADE a couché
des canalisations (dont la qualité est d'ailleurs controversée)
un peu partout dans la basse ville dans le cadre de ce que l'on appelle
le Projet de Développement Urbain de Djibouti (PDUD). Moyennant des
centaines de millions de nos francs, bien sûr.
" Il s'agit,
nous expliquait-on l'époque, de mettre en place le réseau
d'évacuation des eaux pluviales qui fait cruellement défaut
à la capitale ", non sans une forte dose de fierté dans
la parole comme dans le geste. Et sincèrement, nous en éprouvions
un immense soulagement à l'idée de ne plus avoir à
patauger dans la boue et l'eau trouble à chaque saison des pluies.
" Enfin, nous réjouissions-nous, nous ne subirons plus le spectacle
insoutenable de cloaque immense auquel nous a habitués la capitale
aux lendemains des précipitations ".
C'était crier
victoire trop tôt. C'était oublier l'incurie de nos gouvernants.
C'était prendre nos rêves pour la réalité.
En effet, les travaux
se sont un jour arrêtés. Comme cela, brutalement. L'entreprise
a attendu quelques temps, puis plié bagages. Pourquoi ? Nous apprenons
que c'est pour une sordide histoire de contrepartie budgétaire (20%
du projet) que le gouvernement n'a pu ou voulu honorer pour que le projet
aille à son terme. Les bailleurs de fonds ont alors suspendu leurs
décaissements (versements de fonds) par mesure de rétorsion
à l'Etat de Djibouti qui n'a pas honoré ses engagements (la
fameuse contrepartie) dans ce projet.
La joie populaire
aura été de courte durée, car ce qui devait soulager
les habitants des quartiers populaires et populeux, ce qui devait les sauver
des inondations boueuses et nauséeuses, a vite tourné au cauchemar,
puis à l'enfer.
Au cauchemar d'abord,
du fait de ces conduites qui captent les eaux pluviales et les conservent
indéfiniment en leur sein. Recevant en sus partout où elles
n'ont pas été refermées, eaux usées et autres
rebuts urbains. De sorte qu'elles finissent par former un véritable
réservoir d'agents pathogènes en tous genres qui ne se privent
pas du plaisir de partir à l'assaut de la Cité-Etat.
Mais, comme un malheur
n'arrive pas seul, par une perversion rppienne (du RPP, parti au pouvoir)
des choses, la période des pluies, où le réseau en
question devait initialement jouer son rôle évacuateur et ainsi
soulager la ville de ces eaux du ciel tombées, est devenue synonyme
de massacre et d'enfer. Surtout pour les enfants que la mort happe. En se
mouvant dans les flaques d'eau, les petits tombent dans les conduites à
ciel ouvert où ils ne se noient à mort. Chaque saison des
pluies emporte ainsi, à jamais, plusieurs êtres innocents.
Tragique...
Voilà comment
les eaux du salut sont devenues les eaux de la mort. Par la magie morbide
de la mal-gouvernance. Sans que, dans l'état actuel des choses, l'espoir
d'y échapper ne se profile à l'horizon...
ECONOMIE SOCIALE
LES
BOULANGERIES FRAPPEES PAR LA CRISE
Les boulangeries
du pays subissent de plein fouet la crise de mal-gestion qui affecte le
pays. Activité sociale par excellence, puisque le pain est une denrée
de première nécessité dont le prix (20 FD la baguette)
doit être à l'abri de la spéculation et de l'inflation,
la boulangerie est pourtant censée bénéficier de l'attention
des pouvoirs publics. Elle doit, en effet, être subventionnée,
dans une certaine mesure, pour l'aider à maîtriser ses coûts
de revient et à respecter la sacro-sainte stabilité du prix
de la baguette dont les Djiboutiens, saignés par la situation, ne
sauraient supporter la moindre hausse.
C'était d'ailleurs
le cas jusqu'il y a quelques années avec la vente d'une farine subventionnée
aux boulangers du pays par l'Office National d'Approvisionnement et de Commercialisation
(ONAC). Organisme dont la mission et la raison d'être étaient
de réguler le marché des denrées de première
nécessité dans la jeune République. Ce faisant, rappelons-le,
l'ONAC reprenait et adaptait aux besoins d'un pays à édifier
le rôle dévolu aux magasins témoins de la période
coloniale.
Cette farine subventionnée,
en maintenant le prix d'achat de la farine à 45 FD le kg, permettait
donc à nos boulangers de nous offrir la bonne vieille baguette à
nos non moins bons vieux vingt francs. Ce soutien des pouvoirs publics rendait
au demeurant l'activité viable et contribuait à une meilleure
implantation des boulangeries dans la capitale et dans les districts de
l'intérieur.
Jusqu'à ce
que, à son tour, avec la dégradation de la situation nationale,
le secteur de la boulangerie se détériorât. L'ONAC,
confronté à des difficultés de mauvaise gestion et
à la prédation des dignitaires de tout poil qui se substituaient
à lui, notamment dans la commercialisation de l'aide alimentaire,
n'a pu continuer à approvisionner les boulangers en farine subventionnée.
D'où l'augmentation du prix de revient chez ces artisans. Tenus de
respecter le prix homologué de 20 FD la baguette, mais sans plus
bénéficier d'une farine subventionnée puisqu'il leur
fallait acheter le produit au prix du marché (parfois à 60
FD le kg, soit 3000 FD le sac de 50 kg), les boulangers ont vu surgir les
difficultés. Beaucoup n'ont pu tenir et fermé boutique. Ainsi
des boulangeries Mahdi à Einguela, Ananoug à la Rue de Zeila,
de Farah Had à Balbala, de Garned à la cité Progrès
,Abdillahi Q 7 Sud, du 8 mai à Ambouli, du Double coin au Quartier
7, de Saleh au quartier 1-2, etc. Ce sont des affaires anciennes qui ont
ainsi disparu du paysage économique, apportant son lot de chômeurs
et de misère sociale.
Et si certaines boulangeries,
appartenant à des proches du régime et qui ont donc d'autres
possibilités, ont vu le jour sur les ruines des défuntes,
le secteur n'en demeure pas moins moribond.
Les professionnels
n'en finissent pas de se lamenter, sans la moindre réaction du régime
qui vient de prononcer la liquidation de l'ONAC comme pour signifier la
fin de l'approvisionnement social.
D'où ce mot
amer d'un boulanger de longue date :" C'en est fait de notre activité
".
Triste sort. Un de
plus, qui nous frappe au plus vulnérable.
SECURITE URBAINE
LA PEUR HANTE
LES QUARTIERS 1 ET 2
L'insécurité
urbaine est un problème réel dans la capitale djiboutienne.
Celle-ci ploie sous le poids des réfugiés économiques
de la sous-région et est en proie à la délinquance
juvénile nationale, ce qui accroît d'autant les risques sur
la tranquillité publique.
Cependant, le phénomène
n'affecte pas de la même manière les différentes zones
de la ville. Certains quartiers sont plus touchés que d'autres. Ainsi
des quartiers 1 et 2, qui sont situés à la lisière
de la basse ville. Ce sont en fait des quartiers à grande activité
où une tradition commerciale ancienne (elle remonte aux débuts
de la ville, du temps où ces premiers quartiers de la basse ville
s'appelaient Bender Djedid), rythme la vie. Cette particularité produit
ses effets secondaires et attire des groupes de clandestins, de marginaux
et autres asociaux qui sévissent aux dépens de la population
locale. Ils font régner la peur et sèment la mort. Régulièrement,
les délinquants (jeunes Djiboutiens et clandestins de la sous-région)
s'illustrent par des actes de violence : blessures à l'arme blanche,
crimes crapuleux, vols à main armée, cambriolages, etc.
Les habitants, apeurés,
terrifiés même, se réfugient dans le silence. Un silence
de peur et de désespoir. " C'est une chape infernale qui s'abat
sur nous ", murmure d'indignation un épicier local, établi
là depuis plusieurs générations. " Les autorités
ne font rien pour nous ", renchérit un autre habitant.
Les victimes, c'est-à-dire
les habitants des quartiers en question, se plaignent de l'absence de police.
Il n'existe pas en effet de poste de police qui assure une présence
de proximité et atténue d'autant l'insécurité.
Compte tenu de l'importance démographique (forte densité)
et de la particularité économique (forte tradition commerciale),
un effort de maintien de la tranquillité publique ne serait vraiment
pas de trop.
" Il y avait
une légère présence policière sous la forme
d'un poste temporaire de police durant quelques temps ", nous rappelle-t-on.
Mais elle a été supprimée sans que l'on sache pourquoi
: Ce n'était pas d'une grande efficacité, semble-t-il, en
raison de son faible effectif et de la mobilité réduite des
agents. Il n'empêche qu'elle exerçait une dissuasion, surtout
dans le périmètre de son implantation.
Depuis lors, inexplicablement,
ces deux vieux quartiers de la basse ville sont plongés dans la peur.
Entièrement livrés à la loi des bandes et autres gangs.
Tristes sort...
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