LE RENOUVEAU 362
du Jeudi 8 Juin 2000
Organe d'information du PRD

Diffusion par l'ARDHD
Directeur de publication : Daher Ahmed Farah
Rédaction - Administration :
Edité par la Commission Communication du Parti
Avenue NASSER tel :35 14 74 B.P : 3570
Tirage : 1500 exemplaires . Dépôt Légal N°365

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LE RENOUVEAU

N° 362 du Jeudi 8 Juin 2000

L'EVENEMENT NATIONAL

LES ÉMEUTES DE LA MISÈRE


Samedi 3 juin 2000. L'atmosphère caniculaire de l'été connaît une tension inhabituelle née de la hausse brutale du prix du gasoil et du pétrole lampant de 12 FD.
Les professionnels des bus et mini-bus, qui ont observé une grève magistrale de quatre jours (du mardi 30 mai au vendredi 2 juin), ont obtenu du gouvernement une augmentation de 10 francs du prix de la place pour compenser la hausse de 12 FD du litre de gasoil consommé par leurs véhicules.
Rien de nouveau en ce qui concerne le prix du pétrole lampant, pourtant combustible populaire par excellence. Non seulement, donc, les couches populaires doivent supporter cette hausse maintenue de 12 francs du pétrole lampant mais aussi dix autres francs qui viennent alourdir le prix de la place de bus ou mini-bus. Les couches populaires, car, c'est bien connu, les dignitaires alimentaires du régime ont depuis longtemps abandonné pain et pétrole lampant pour le croissant et le réchaud à gaz, pour ne citer que ces deux éléments du progrès alimentariste dont se glorifient nos insatiables prédateurs.
Le sang du peuple malheureux, déjà surchauffé par les effets conjugués de la chaleur et de la crise de mal-gouvernance, ne fait qu'un tour. Spontanément, les gens se soulèvent. Ils descendent dans les rues où ils brûlent des pneus et bloquent les chaussées d'épaves de véhicules et autres détritus. Ils scandent des slogans hostiles au régime.
La circulation routière est perturbée. Les dignitaires grassouillets du régime ne peuvent plus circuler librement dans leurs grosses cylindrées climatisées aux vitres aussi hermétiquement fermées que leurs esprits archaïques.
Le peuple est en colère contre la bêtise et manifeste son courroux. Avec pour fer de lance les jeunes et les femmes qui agissent vaillamment en première ligne. Balbala, Ambouli, Djebel, Quartier 7 bis, Quartier 7, Cité du Stade, Quartier 6, Arhiba, etc. tous les quartiers populaires et populeux sont gagnés par le mouvement de colère. Cela sent bien le soulèvement.
A Béit El Wali (ancien palais du gouverneur colonial devenu palais présidentiel), c'est la panique. Le téléphone se décroche et raccroche. Les appels se multiplient. Les instructions aussi. Un mot d'ordre, un seul : il faut arrêter ça ! La police se mobilise. La gendarmerie fait de même. L'anachronique machine répressive se met ainsi en branle.
Mais la situation est différente cette fois. Différente par son ampleur, sa spontanéité et le sens tactique de ceux et celles qui agissent.
Les flammes des pneus gênent les matraqueurs, et les barrages de fortune leurs véhicules. Les premières descentes sont alors un formidable fiasco : agiles comme des acrobates, les émeutiers sèment les sbires casqués. La moisson est maigre. Dur, dur...
Les grassouillets chefs sont mécontents. Les menaces tombent, notamment à l'encontre de l'encadrement de la machine répressive. Il leur faut des résultats, qui tardent à mesure que le temps passe...
Que faire ? La question est sur toutes les lèvres et dans tous les esprits dans les venelles vénales du pouvoir. La réponse fuse enfin, bovine au possible : il faut frapper fort et dans le tas !
Alors, aveuglement, les agents casqués de la répression se lancent à l'assaut des habitations et autres salles vidéo pour jeunes qu'ils violent en s'y introduisant sans autorisation. Ils arrêtent tout ce qui leur tombe sous la main. Par centaines, les gens sont interpelés et envoyés au sinistre centre de Nagad. Dimanche, lundi et mardi sont ainsi placés sous le signe des arrestations massives et aveugles.
Le régime déploie ces trésors d'inintelligence dont il a le secret. Il est à bout, vaincu par la vaillance spontanée des émeutiers.
Mercredi, la situation se calme quelque peu. Sorte de repli tactique des émeutiers, dirait-on. Le régime pousse un ouf de soulagement. Il l'a échappé belle.
Aux sommets sans saveur du pouvoir, l'heure est au bilan. Il n'est guère brillant. A qui la faute ? Qui en porte la responsabilité ?
Des boucs émissaires sont trouvés. Des têtes sont désignées du doigt. Des noms circulent, colportés par la rumeur. De vieux comptes semblent se régler, et certains chefs galonnés sont donnés sortants au conseil des ministres de Monsieur Guelleh. Qui n'en est qu'à sa douzième séance en six mois de l'an 2000 ! Pour cause de voyages aussi incessants qu'infructueux du chef ? Pour panne d'idées ? Les deux sans doute...
Dure semaine donc pour le régime que celle qui se termine. La misère a tourné aux émeutes...
Ne dit-on pas qu'il faut se méfier de l'eau qui dort ?


 

ECONOMIE SOCIALE

LES BOULANGERS REMPORTENT UNE VICTOIRE

Les boulangers, touchés à la fois par la hausse du gasoil et la suppression de la farine subventionnée, ont saisi le pouvoir en place. Ils ont exposé, ainsi que nous en avons fait état dans notre dernière édition, leur situation peu enviable. Non sans menacer de faire grève à l'instar des bus et mini-bus.
Le régime, paniqué, aurait favorablement répondu à leurs exigences, du moins en partie. Une réduction de près de 50% du prix du kilowattheure d'électricité consommé leur aurait été accordée : désormais le kilowattheure leur serait donc facturé à 25 FD contre près de 50 FD habituellement.
C'est là une victoire indéniable arrachée par la détermination et la combativité. Preuve que la lutte pour ses droits finit toujours par payer...
EDUCATION


ENTREE EN 6ème : BEAUCOUP DE CANDIDATS, PEU D'ADMIS

Comme chaque année, de très nombreux élèves se sont présentés au concours d'entrée en 6ème au mois de mai dernier. Ils étaient près de 7500 sur l'ensemble du territoire national à concourir. 7500 élèves de tous sexes, de toutes conditions sociales et de tous niveaux puisque entre l'élève de CM2 d'Assamo ou de Dora et celui de l'Ecole d'application de Gabode II à Djibouti-ville, l'écart est grand.
Comme d'habitude, peu d'entre eux ont donc été admis faute de niveau mais aussi et surtout de places. Seuls quelque 3216 candidats auront été reçus. 3216 heureux élus qui rejoindront à la prochaine rentrée scolaire les huit collèges d'enseignement secondaire (CES) du pays.
Les autres, c'est-à-dire la majorité (ils sont plus de 4000), se retrouveront dans la rue, à moins qu'ils aient la chance d'être encore " trop jeunes " pour être jetés comme des chiffons.
Un véritable massacre annuel donc que ce concours d'un autre âge et la logique qui y préside. Un massacre auquel la condition sociale et l'école fréquentée prédestinent ou dont elles sauvent selon les cas. Un massacre qui touche surtout les enfants du peuple et épargne ceux mieux lotis dont les parents ont les moyens du succès scolaire. Un massacre anti-populaire inacceptable et qui doit cesser d'urgence.
Et que l'on n'invoque surtout pas la pénurie des moyens : le régime ne s'est-il pas arrangé pour recruter des milliers de soldats et mener une guerre dont il aurait facilement pu faire l'économie ?
De grâce, investissons enfin en l'homme au lieu de cultiver la bêtise alimentariste.
AÉRONAUTIQUE


 

L'AÉROPORT SUSPEND SES PRESTATIONS À " AIR DJIBOUTI "

La compagnie Air Djibouti, que l'opinion publique nationale considère comme proche du régime, connaît des difficultés en ce moment . Notamment avec l'Aéroport International de Djibouti auquel elle doit quelque 37 728 965 FD au titre de la location des équipements d'assistance au sol et de la redevance aéronautique.
" Malgré notre prolongation accordée jusqu'au 21 mai 2000 dernier, écrit la direction de l'Aéroport ( lire ce document en fin de journal), date prévue pour le paiement, il a été constaté qu'aucune initiative n'est prise à ce jour par votre compagnie pour débloquer la situation. Nous vous informons que votre dette s'élève à 37 728 965 FD, respectivement pour 28 267 272 FD de location et 9 461 693 Red Aéronautique. [...] Toutes prestations de service seront suspendues à partir du 22/05/2000 ".
Cette compagnie aérienne, de création récente, a repris les droits d'exploitation de la compagnie nationale, la défunte Air Djibouti. Elle assure notamment la ligne Djibouti-Paris et Djibouti-Djeddah. Elle emploie un encadrement mixte djibouto-expatrié au sein duquel officie un ancien directeur d'Air Djibouti.
Les capitaux de cette compagnie appartiennent, dit-on, à des Djiboutiens et à un consortium étranger dont la composition reste opaque.
Pourquoi ces difficultés ? S'agit de simples problèmes de jeunesse appelés à s'aplanir ou de difficultés plus profondes de nature à mettre en danger la survie de la société ?
Rappelons, en tout cas, que le président Mohamed Hadji Ibrahim Egal du Somaliland a récemment interdit cette compagnie sur son sol, la soupçonnant de transporter clandestinement des ressortissants somalilandais vers Djibouti pour les besoins de la " conférence de réconciliation somalienne " de Monsieur Ismaël Omar Guelleh. Avant de la réautoriser peu après, après que le régime djiboutien a interdit la compagnie Daalo Airlines, contrôlée par des Somalilandais et installée à Djibouti, de vols à destination ou en provenance du Somaliland.
A suivre


 

ADMINISTRATION

LES AGENTS OBOCKOIS DE L'ETAT ATTENDENT ENCORE

Les agents obckois de l'Etat, qui se plaignent de lenteurs dans le règlement de leurs solde et autres allocations familiales, ont demandé qu'il y soit remédié. Ils attendent encore que des mesures concrètes soient prises pour que ces lenteurs cessent.
Aussi interpellent-ils le nouveau commissaire de la République chef du district d'Obock sur cette affaire laissée en suspens par son prédécesseur.



LA POPULATION DU PK 12 SE PLAINT TOUJOURS

Au PK 12, quartier déshérité rejeté loin de la ville, la population se plaint amèrement. Elle se plaint de ce que les fontaines publiques sont quantitativement insuffisantes, même si le prix du fût est maintenu à 30 FD après la tentative manquée de hausse à 50 FD mise en échec par l'opposition populaire. Elle se plaint aussi de ce que le seul chantier du quartier ( construction d'un groupe scolaire primaire) n'embauche que les seuls militants du parti au pouvoir, le RPP : il faut, nous rapportent-ils, présenter la carte d'adhérent au RPP pour espérer une embauche. Les chefs des quartiers, les responsables de l'annexe locale du RPP ainsi que l'administration de la circonscription y veillent de concert. Elle se plaint également de la pénurie de médicaments au dispensaire local qui n'offre plus rien aux malades. Elle se plaint enfin de ce que les décasés d'Arhiba II ne soient toujours pas normalement réinstallés, comme promis, et demeurent sur des parcelles provisoires, ce qui les place à la merci de l'arbitraire administratif : ils paieraient, selon eux, 5000 FD à la fin de chaque mois pour ne pas être délogés.



UNE MOSQUÉE INTERDITE AUX FIDÈLES

Des informations concordantes recueillies par le Renouveau font état de l'interdiction récente de la mosquée jouxtant le Tribunal du Charia Central de la capitale aux fidèles. Cette décision, sans précédent dans les annales de l'islam sous nos cieux, est attribuée au ministère délégué aux affaires musulmanes.
Elle entrerait, dit-on, dans le cadre du verrouillage religieux dont un certain cadi Mogueh Dirir se ferait l'instrument pour le compte du régime. L'opinion y voit en effet la volonté de fermer les lieux de culte que sont les mosquées à certains prêcheurs jugés trop subversifs.
Décidément...


 

POLITIQUE REGIONALE

CONFERENCE DE RECONCILIATION SOMALIENNE : DES DIFFICULTES ELOQUENTES.

La conférence de réconciliation somalienne convoquée par Monsieur Ismaël Omar Guelleh pour le 20 avril 2000 et ouverte le 2 mai seulement du fait d'un report de dernière minute, piétine. La première phase, la phase dite de réconciliation intra et interclanique, dure et perdure. Contrairement aux informations diffusées par la Radio Télévision de Djibouti (RTD), les discussions ne semblent pas avancer. D'où les reports répétés du passage à la seconde phase, la phase dite politique. Elle devait, aux dernières nouvelles, débuter le 6 juin 2000. Ce qui n'a pu se réaliser. En réalité, les problèmes sont multiples et ne sont pas liés aux seuls Somaliens. L'état d'esprit qui anime le régime djiboutien, son approche malsaine, sa précipitation délibérée, son organisation défaillante ... sont autant de sources de difficultés. Un événement révélateur s'est produit dimanche 4 juin 2000 à Arta. Les employés locaux engagés pour les besoins de la conférence se sont révoltés pour exiger leurs salaires. Ils ont récolté la répression qui a fait deux blessés parmi eux. Les participants somaliens ont assisté ahuris au spectacle qui n'a pas manqué de réveiller en eux de douloureux souvenirs de la période du général dictateur Mohamed Siad Barreh. Cela les a confortés dans leurs doutes et aggravé leur déception... Autre événement révélateur, les participants du Puntland et beaucoup d'autres du pays Rahanweine ont claqué la porte de la conférence et se sont déclarés en situation d'otages : selon les déclarations sur la BBC de leurs autorités régionales, le régime djiboutien les empêcherait de communiquer avec l'extérieur et de rentrer chez eux.
Devant cette situation, qui n'incite pas à l'optimisme, il nous paraît utile d'interpeller de nouveau les Somaliens et de les rappeler à la vigilance. D'où la republication de notre lettre ouverte aux Somaliennes et Somaliens.


 

LETTRE OUVERTE AUX SOMALIENS (Réédition)
par Daher Ahmed Farah

chers freres et soeurs,

Ne pouvant nous adresser directement à vous, sous le chapiteau d'Arta où, selon le régime djiboutien, des personnalités coutumières vous représentant débattent pour vous réconcilier et dégager les voies et moyens de mettre fin au drame que traverse votre cher pays depuis maintenant une dizaine d'années, ne pouvant donc prendre la parole devant vous, en dépit de notre demande expresse en ce sens, du fait du régime de Monsieur Ismaël Omar Guelleh prompt à museler les opposants, nous nous permettons de vous faire tenir cette lettre ouverte par voie de presse.

C'est volontairement que nous nous exprimons en français pour prendre à témoin l'opinion publique nationale et internationale.

Comme vous pouvez aisément l'imaginer, nous souhaitons, comme tous vos frères et voisins djiboutiens, la fin de vos malheurs. Nous le souhaitons vivement, du plus profond de notre être. D'où l'irrépressible cri du cœur et de la raison que nous poussons à travers ces quelques modestes lignes.

Ce que nous souhaitons souligner, c'est l'impérieuse nécessité pour les Somaliens de parvenir à leurs objectifs : réconcilier le peuple somalien et lui fournir les moyens de restaurer son Etat et de reconstruire son pays.

C'est là, nous en convenons aisément, une vaste tâche qui ne peut souffrir d'erreurs. Une tâche vitale dont le succès nous semble déterminant, décisif, pour le destin de tout un peuple et de la nation qu'il forme malgré tout.

Comme le dit si joliment le dicton, " Arine aan la rogrogin rag ma heline (d'une affaire non examinée, l'on ne peut dire que des hommes s'y sont penchés) ", avant de songer aux remèdes, il faut diagnostiquer le mal, déterminer sa nature. Car à chaque mal correspondent ses remèdes.

D'où la nécessité, dans toute entreprise de réconciliation somalienne, d'examiner sérieusement la situation, de la considérer dans toute sa complexité, de ne négliger aucun aspect essentiel. Il faut se donner le temps de s'interroger ensemble, pour mieux appréhender les problèmes et mieux entrevoir les solutions. Un bon diagnostic, c'est 50% du traitement, disent les praticiens.

S'interroger sur les causes profondes de la tragédie somalienne mais aussi sur les raisons de son insoutenable persistance. Pourquoi et comment l'un des pays phares de l'Afrique indépendante, fascinant à plus d'un titre, en est-il arrivé à s'effondrer du sommet de ses succès ? Par quelle funeste alchimie le sort somalien s'est-il scellé ? Pourquoi et comment le drame perdure-t-il depuis dix ans ? Pourquoi toutes les tentatives de réconciliations, d'où qu'elles viennent, ont-elles échoué... ?

Nous souhaiterions pour notre part, dans le cadre de notre modeste intervention, nous attarder un instant sur cette dernière question de la réconciliation, car elle concerne l'objet de l'initiative que le chef du pouvoir djiboutien affirme avoir prise au nom du peuple djiboutien et qu'il s'agit d'une entreprise trop importante pour être laissée entre les mains d'un seul homme. N'est-ce pas précisément l'exercice autocratique du pouvoir d'Etat qui a fait de la Somalie ce qu'elle est et qui justifie cette réconciliation nationale si vitale ? Laquelle, on ne le soulignera jamais assez, ne pouvant en aucune façon faire l'économie d'un examen approfondi autour des questions essentielles, du pourquoi et du comment.

Nous ne pouvons nous retenir de rappeler que pas moins de douze conférences de réconciliation ont échoué depuis les débuts de la crise somalienne. La première était organisée par la République de Djibouti en juillet 1991 sous le régime du président Hassan Gouled Aptidon dont Monsieur Ismaël Omar Guelleh était le bras sécuritaire et l'un des tout proches collaborateurs.

Le point commun de toutes ces conférences de réconciliation était leur organisation par des pays tiers. Des pays certes frères ou amis, interpellés sans doute par le drame somalien, mais des pays tiers tout de même. Toutes ces conférences ont donc été conçues et mises en oeuvre par des Etats tiers, souvent avec la complicité active de certains acteurs somaliens.

Or, ces Etats organisateurs, si liés soient-ils à la Somalie, n'ont pas forcément les mêmes intérêts que les malheureux Somaliens livrés à l'enfer sur terre. Un Etat digne de ce nom, disait un homme d'Etat célèbre, n'a point d'amis, il n'a que des intérêts.

Du reste, il nous est donné de constater que les régions somaliennes où la paix est revenue sont celles où les Somaliens ont eux-mêmes pris les choses en main, discutant sans intermédiaire de leurs problèmes et trouvant entre eux une formule de vie collective. L'exemple du Somaliland, suivi quelques années plus tard du Puntland, nous semble éloquent .

Cela n'a d'ailleurs rien d'étonnant pour qui connaît la société somalienne et sa culture. Comme tous les Somalis (nous pouvons dire la même chose des Afars, autre peuple de pasteurs nomades frère des Somalis), les Somaliens sont les héritiers d'une riche culture de dialogue (de démocratie pastorale, diraient les spécialistes) où les différends internes se règlent par le verbe sous l'arbre à palabres. De mémoire de pasteur nomade, il n'est pas de conflit interne, de différend, qui n'ait fini par connaître un heureux dénouement sous l'arbre à palabres. Les guerres inter-claniques les plus meurtrières ont toujours fini par cesser lorsque les protagonistes, l'explosion passionnelle passée, ont repris langue. La paix retrouvée se scellant souvent par des mariages entre jeunes gens et jeunes filles des deux groupes réconciliés. Une façon de consolider la paix civile par un resserrement des liens du sang.

N'est-ce pas, du reste, au nom de cette culture que le régime de Monsieur Ismaël Omar vient d'engager directement le dialogue avec l'opposition armée djiboutienne (alliée à l'opposition civile) du FRUD présidée par Monsieur Ahmed Dini Ahmed en terre djiboutienne ?

Voilà pourquoi nous pensons que seuls les Somaliens, en prenant véritablement leurs affaires en main, peuvent parvenir à une authentique réconciliation qui débouche sur une réelle renaissance somalienne. Nous le pensons d'autant plus fort que de nombreux indices nous amènent à douter de la sincérité de l'initiative de paix de Monsieur Ismaël Omar Guelleh, un Djiboutien que nous autres Djiboutiens connaissons tout de même mieux que nos frères somaliens.

En mal de légitimité à l'intérieur des frontières nationales où il a usurpé le pouvoir d'Etat, Monsieur Guelleh a certainement cru trouver dans la tragédie somalienne matière à acquérir quelque crédit international et à capter de l'aide financière. Il a alors entrepris de prôner pour les Somaliens une réconciliation nationale, celle-là même qu'il fuyait dans son propre pays et avec ses propres concitoyens, massivement opposés à sa prise du pouvoir.

L'initiative de paix de Monsieur Ismaël Omar est en effet survenue au lendemain de l'élection présidentielle djiboutienne qui a donné lieu à un véritable hold up électoral au profit de ce dernier et aux dépens de son adversaire unique, Monsieur Moussa Ahmed Idriss, figure historique soutenue par l'ensemble des forces de l'opposition, y compris le FRUD du président Ahmed Dini Ahmed.

C'est au moment même où Monsieur Ismaël Omar Guelleh annonçait son " plan de paix pour la Somalie " de la tribune des Nations Unies, que son appareil répressif, en un dispositif des plus impressionnants, donnait l'assaut contre le domicile du paisible Moussa Ahmed Idriss, faisant un mort en la personne de son fils adoptif, Youssouf Ismaël, et plusieurs blessés dont ses propres épouse Saada Elmi et fille Aicha Moussa Ahmed Idriss.

La tonalité du " message de paix " du fils de Omar Guelleh n'était pas de nature à rassembler et trahissait, dans sa formulation du moins, cette arrogance instinctive des disciples issus du moule de la facilité.

Bientôt, il apparaissait clairement que son " initiative de paix " n'avait pas été précédée des efforts et contacts de terrain préparatoires. Sahan n'avait été effectué : sahan, ce mot somali, signifie la mission de reconnaissance qu'effectue le pasteur nomade avant de décamper, soucieux de s'assurer de l'hospitalité de la zone de transhumance pressentie pour le déplacement pastoral du campement.

C'est à posteriori que Monsieur Ismaël Omar courra à gauche et à droite vers les pays, régions et organisations du monde intéressés par la question de la réconciliation somalienne. Tandis que les premiers intéressés, les Somaliens, apprendront l'entreprise de paix dont ils font l'objet par voie de presse. C'est à quelques jours seulement de la date du 20 avril 2000, date retenue par le pouvoir djiboutien pour le début de la conférence de réconciliation, que s'envoleront de Djibouti vers les régions somaliennes, c'est-à-dire vers le véritable terrain à traiter, les premières délégations de Monsieur Ismaël Omar. Provoquant de vives réactions de rejet de la part des principales régions somaliennes : Somaliland, Puntland, des secteurs importants de Mogadiscio et de sa région Benadir, etc.(lire à ce sujet notre article sur la question au Renouveau n°356 du 20 avril ), notamment ceux contrôlés par les chefs de factions Houssein Aïdid, Omar Ato, Ganyareh Afrah, etc.

Il faut dire que l'opinion publique somalienne, hormis quelques voix complaisantes, se montrait sceptique dès l'annonce d'un " plan de paix " auquel rien ne l'avait préparée et dont elle ignorait les tenants et les aboutissants.

Quant au peuple djiboutien, au nom duquel Monsieur Ismaël Omar affirme entreprendre ses démarches, il est tenu dans l'ignorance la plus totale de " l'initiative de paix ". Il doit se contenter de la propagande éculée puant le culte de la personnalité de Monsieur Guelleh, que relaient certains journalistes du service somali de la BBC connus sous nos cieux pour leurs relations privilégiées avec le régime djiboutien.

Aucun intellectuel djiboutien indépendant, aucun responsable politique de l'opposition, aucune autorité morale respectée, ne sont associés. En dehors de quelques courtisans bassement alimentaires, c'est la solitude qui, comme d'ordinaire, prévaut autour de cette entreprise du régime, dans un pays pourtant connu pour sa proximité du peuple somalien auquel il est d'ailleurs reconnaissant de son soutien décisif à la lutte nationale pour l'Indépendance.

Interrogé sur les ondes du service somali de la BBC, où un journaliste relèvera l'impréparation et le calendrier trop court de la réconciliation, Monsieur Ismaël Omar Guelleh répondra qu'il va justement vite pour éviter les palabres, les difficultés, les résistances...

Curieuse conception de la réconciliation qui nous a laissés stupéfaits, mais qui n'a finalement guère étonné sous nos yeux où l'on connaît bien l'homme.

Tous ces facteurs ont fait que la conférence débute sous de mauvaises auspices : report in extremis de la conférence initialement prévue pour le 20 avril 2000 au 2 mai 2000 ; difficultés liées à l'impréparation dont les divergences entre les participants somaliens ; dépassement du délai de 15 jours fixé pour la conférence ; soutien peu visible de la communauté internationale ; faible participation des Somaliens (le Somaliland est absent, le Puntland est défiant, le Benadir en grande partie hostile, les Rahanwene se tiennent sur leurs grades) ; les appels incessants de Monsieur Guelleh à la communauté internationale pour un soutien financier ne semblent pas suivis d'effets...

C'est pour toutes ces raisons que nous autres Djiboutiens doutons de la sincérité de Monsieur Ismaël Omar Guelleh.

Or, les Somaliens nous sont, pour nous autres Djiboutiens, très chers et ne souhaitons en aucune manière voir exploiter leurs malheurs à des fins inavouables. Nous voulons les voir sortir définitivement de la situation insoutenable où ils ont sombré. Et nous savons que c'est chose possible, d'autant plus possible que dix ans de souffrances sans nom ont épuisé le peuple somalien, rendant ardente son aspiration à la paix et à la réconciliation. Paix véritable et réconciliation réelle. Non quelque simulacre que ce soit.

Les chances de la paix et de la réconciliation somaliennes sont donc réelles et elles ne doivent en aucune manière être gaspillées. Nul n'en a le droit.

Voilà pourquoi nous lançons un appel pressant, un appel du cœur et de la raison, aux Somaliens où qu'ils soient. Nous les appelons à voir la réalité en face et à prendre leurs responsabilités. Nous les appelons à reprendre l'initiative et à se réapproprier le débat sur leur propre destin. Vous pouvez prendre Monsieur Ismaël Omar Guelleh au mot (officiellement, Djibouti se contente de vous offrir l'hospitalité pour permettre vos retrouvailles) et vous emparer de son initiative pour la repenser et la faire vôtre. Qu'elle ait permis aux chefs traditionnels de reprendre langue à Arta ou non, cette réunion ne vous empêchera pas d'aller plus loin et d'enclencher une authentique dynamique de paix et de réconciliation adaptée à vos rythmes et à vos réalités concrètes. Quitte à prolonger les palabres (shirs) chez vous sur le terrain, comme au Somaliland.

La communauté internationale vous soutiendra si vous le méritez. En d'autres termes, aidez-vous et le monde vous aidera.

C'est de vous tous, et de vous seuls, qu'il dépend que cette énième occasion, quelles que soient les motivations inavouables de Monsieur Guelleh, ne soit pas qu'une réunion de plus. Ou un prétexte pour vous satelliser et piller. Vous pouvez la transformer en une véritable réconciliation...

Notre modeste soutien et celui du peuple frère djiboutien vous sont acquis. Pour vous aider de manière sincère et désintéressée .

Par avance, merci de votre attention.

Très fraternellement à vous.

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