LE
RENOUVEAU
N° 362 du Jeudi 8 Juin 2000
L'EVENEMENT
NATIONAL
LES
ÉMEUTES DE LA MISÈRE
Samedi 3 juin 2000. L'atmosphère caniculaire de l'été
connaît une tension inhabituelle née de la hausse brutale du
prix du gasoil et du pétrole lampant de 12 FD.
Les professionnels des bus et mini-bus, qui ont observé une grève
magistrale de quatre jours (du mardi 30 mai au vendredi 2 juin), ont obtenu
du gouvernement une augmentation de 10 francs du prix de la place pour compenser
la hausse de 12 FD du litre de gasoil consommé par leurs véhicules.
Rien de nouveau en ce qui concerne le prix du pétrole lampant, pourtant
combustible populaire par excellence. Non seulement, donc, les couches populaires
doivent supporter cette hausse maintenue de 12 francs du pétrole
lampant mais aussi dix autres francs qui viennent alourdir le prix de la
place de bus ou mini-bus. Les couches populaires, car, c'est bien connu,
les dignitaires alimentaires du régime ont depuis longtemps abandonné
pain et pétrole lampant pour le croissant et le réchaud à
gaz, pour ne citer que ces deux éléments du progrès
alimentariste dont se glorifient nos insatiables prédateurs.
Le sang du peuple malheureux, déjà surchauffé par les
effets conjugués de la chaleur et de la crise de mal-gouvernance,
ne fait qu'un tour. Spontanément, les gens se soulèvent. Ils
descendent dans les rues où ils brûlent des pneus et bloquent
les chaussées d'épaves de véhicules et autres détritus.
Ils scandent des slogans hostiles au régime.
La circulation routière est perturbée. Les dignitaires grassouillets
du régime ne peuvent plus circuler librement dans leurs grosses cylindrées
climatisées aux vitres aussi hermétiquement fermées
que leurs esprits archaïques.
Le peuple est en colère contre la bêtise et manifeste son courroux.
Avec pour fer de lance les jeunes et les femmes qui agissent vaillamment
en première ligne. Balbala, Ambouli, Djebel, Quartier 7 bis, Quartier
7, Cité du Stade, Quartier 6, Arhiba, etc. tous les quartiers populaires
et populeux sont gagnés par le mouvement de colère. Cela sent
bien le soulèvement.
A Béit El Wali (ancien palais du gouverneur colonial devenu palais
présidentiel), c'est la panique. Le téléphone se décroche
et raccroche. Les appels se multiplient. Les instructions aussi. Un mot
d'ordre, un seul : il faut arrêter ça ! La police se mobilise.
La gendarmerie fait de même. L'anachronique machine répressive
se met ainsi en branle.
Mais la situation est différente cette fois. Différente par
son ampleur, sa spontanéité et le sens tactique de ceux et
celles qui agissent.
Les flammes des pneus gênent les matraqueurs, et les barrages de fortune
leurs véhicules. Les premières descentes sont alors un formidable
fiasco : agiles comme des acrobates, les émeutiers sèment
les sbires casqués. La moisson est maigre. Dur, dur...
Les grassouillets chefs sont mécontents. Les menaces tombent, notamment
à l'encontre de l'encadrement de la machine répressive. Il
leur faut des résultats, qui tardent à mesure que le temps
passe...
Que faire ? La question est sur toutes les lèvres et dans tous les
esprits dans les venelles vénales du pouvoir. La réponse fuse
enfin, bovine au possible : il faut frapper fort et dans le tas !
Alors, aveuglement, les agents casqués de la répression se
lancent à l'assaut des habitations et autres salles vidéo
pour jeunes qu'ils violent en s'y introduisant sans autorisation. Ils arrêtent
tout ce qui leur tombe sous la main. Par centaines, les gens sont interpelés
et envoyés au sinistre centre de Nagad. Dimanche, lundi et mardi
sont ainsi placés sous le signe des arrestations massives et aveugles.
Le régime déploie ces trésors d'inintelligence dont
il a le secret. Il est à bout, vaincu par la vaillance spontanée
des émeutiers.
Mercredi, la situation se calme quelque peu. Sorte de repli tactique des
émeutiers, dirait-on. Le régime pousse un ouf de soulagement.
Il l'a échappé belle.
Aux sommets sans saveur du pouvoir, l'heure est au bilan. Il n'est guère
brillant. A qui la faute ? Qui en porte la responsabilité ?
Des boucs émissaires sont trouvés. Des têtes sont désignées
du doigt. Des noms circulent, colportés par la rumeur. De vieux comptes
semblent se régler, et certains chefs galonnés sont donnés
sortants au conseil des ministres de Monsieur Guelleh. Qui n'en est qu'à
sa douzième séance en six mois de l'an 2000 ! Pour cause de
voyages aussi incessants qu'infructueux du chef ? Pour panne d'idées
? Les deux sans doute...
Dure semaine donc pour le régime que celle qui se termine. La misère
a tourné aux émeutes...
Ne dit-on pas qu'il faut se méfier de l'eau qui dort ?
ECONOMIE
SOCIALE
LES
BOULANGERS REMPORTENT UNE VICTOIRE
Les boulangers,
touchés à la fois par la hausse du gasoil et la suppression
de la farine subventionnée, ont saisi le pouvoir en place. Ils ont
exposé, ainsi que nous en avons fait état dans notre dernière
édition, leur situation peu enviable. Non sans menacer de faire grève
à l'instar des bus et mini-bus.
Le régime, paniqué, aurait favorablement répondu à
leurs exigences, du moins en partie. Une réduction de près
de 50% du prix du kilowattheure d'électricité consommé
leur aurait été accordée : désormais le kilowattheure
leur serait donc facturé à 25 FD contre près de 50
FD habituellement.
C'est là une victoire indéniable arrachée par la détermination
et la combativité. Preuve que la lutte pour ses droits finit toujours
par payer...
EDUCATION
ENTREE
EN 6ème : BEAUCOUP DE CANDIDATS, PEU D'ADMIS
Comme chaque
année, de très nombreux élèves se sont présentés
au concours d'entrée en 6ème au mois de mai dernier. Ils étaient
près de 7500 sur l'ensemble du territoire national à concourir.
7500 élèves de tous sexes, de toutes conditions sociales et
de tous niveaux puisque entre l'élève de CM2 d'Assamo ou de
Dora et celui de l'Ecole d'application de Gabode II à Djibouti-ville,
l'écart est grand.
Comme d'habitude, peu d'entre eux ont donc été admis faute
de niveau mais aussi et surtout de places. Seuls quelque 3216 candidats
auront été reçus. 3216 heureux élus qui rejoindront
à la prochaine rentrée scolaire les huit collèges d'enseignement
secondaire (CES) du pays.
Les autres, c'est-à-dire la majorité (ils sont plus de 4000),
se retrouveront dans la rue, à moins qu'ils aient la chance d'être
encore " trop jeunes " pour être jetés comme des
chiffons.
Un véritable massacre annuel donc que ce concours d'un autre âge
et la logique qui y préside. Un massacre auquel la condition sociale
et l'école fréquentée prédestinent ou dont elles
sauvent selon les cas. Un massacre qui touche surtout les enfants du peuple
et épargne ceux mieux lotis dont les parents ont les moyens du succès
scolaire. Un massacre anti-populaire inacceptable et qui doit cesser d'urgence.
Et que l'on n'invoque surtout pas la pénurie des moyens : le régime
ne s'est-il pas arrangé pour recruter des milliers de soldats et
mener une guerre dont il aurait facilement pu faire l'économie ?
De grâce, investissons enfin en l'homme au lieu de cultiver la bêtise
alimentariste.
AÉRONAUTIQUE
L'AÉROPORT
SUSPEND SES PRESTATIONS À " AIR DJIBOUTI "
La compagnie
Air Djibouti, que l'opinion publique nationale considère comme proche
du régime, connaît des difficultés en ce moment . Notamment
avec l'Aéroport International de Djibouti auquel elle doit quelque
37 728 965 FD au titre de la location des équipements d'assistance
au sol et de la redevance aéronautique.
" Malgré notre prolongation accordée jusqu'au 21 mai
2000 dernier, écrit la direction de l'Aéroport ( lire ce document
en fin de journal), date prévue pour le paiement, il a été
constaté qu'aucune initiative n'est prise à ce jour par votre
compagnie pour débloquer la situation. Nous vous informons que votre
dette s'élève à 37 728 965 FD, respectivement pour
28 267 272 FD de location et 9 461 693 Red Aéronautique. [...] Toutes
prestations de service seront suspendues à partir du 22/05/2000 ".
Cette compagnie aérienne, de création récente, a repris
les droits d'exploitation de la compagnie nationale, la défunte Air
Djibouti. Elle assure notamment la ligne Djibouti-Paris et Djibouti-Djeddah.
Elle emploie un encadrement mixte djibouto-expatrié au sein duquel
officie un ancien directeur d'Air Djibouti.
Les capitaux de cette compagnie appartiennent, dit-on, à des Djiboutiens
et à un consortium étranger dont la composition reste opaque.
Pourquoi ces difficultés ? S'agit de simples problèmes de
jeunesse appelés à s'aplanir ou de difficultés plus
profondes de nature à mettre en danger la survie de la société
?
Rappelons, en tout cas, que le président Mohamed Hadji Ibrahim Egal
du Somaliland a récemment interdit cette compagnie sur son sol, la
soupçonnant de transporter clandestinement des ressortissants somalilandais
vers Djibouti pour les besoins de la " conférence de réconciliation
somalienne " de Monsieur Ismaël Omar Guelleh. Avant de la réautoriser
peu après, après que le régime djiboutien a interdit
la compagnie Daalo Airlines, contrôlée par des Somalilandais
et installée à Djibouti, de vols à destination ou en
provenance du Somaliland.
A suivre
ADMINISTRATION
LES
AGENTS OBOCKOIS DE L'ETAT ATTENDENT ENCORE
Les agents
obckois de l'Etat, qui se plaignent de lenteurs dans le règlement
de leurs solde et autres allocations familiales, ont demandé qu'il
y soit remédié. Ils attendent encore que des mesures concrètes
soient prises pour que ces lenteurs cessent.
Aussi interpellent-ils le nouveau commissaire de la République chef
du district d'Obock sur cette affaire laissée en suspens par son
prédécesseur.
LA
POPULATION DU PK 12 SE PLAINT TOUJOURS
Au PK 12, quartier
déshérité rejeté loin de la ville, la population
se plaint amèrement. Elle se plaint de ce que les fontaines publiques
sont quantitativement insuffisantes, même si le prix du fût
est maintenu à 30 FD après la tentative manquée de
hausse à 50 FD mise en échec par l'opposition populaire. Elle
se plaint aussi de ce que le seul chantier du quartier ( construction d'un
groupe scolaire primaire) n'embauche que les seuls militants du parti au
pouvoir, le RPP : il faut, nous rapportent-ils, présenter la carte
d'adhérent au RPP pour espérer une embauche. Les chefs des
quartiers, les responsables de l'annexe locale du RPP ainsi que l'administration
de la circonscription y veillent de concert. Elle se plaint également
de la pénurie de médicaments au dispensaire local qui n'offre
plus rien aux malades. Elle se plaint enfin de ce que les décasés
d'Arhiba II ne soient toujours pas normalement réinstallés,
comme promis, et demeurent sur des parcelles provisoires, ce qui les place
à la merci de l'arbitraire administratif : ils paieraient, selon
eux, 5000 FD à la fin de chaque mois pour ne pas être délogés.
UNE
MOSQUÉE INTERDITE AUX FIDÈLES
Des informations
concordantes recueillies par le Renouveau font état de l'interdiction
récente de la mosquée jouxtant le Tribunal du Charia Central
de la capitale aux fidèles. Cette décision, sans précédent
dans les annales de l'islam sous nos cieux, est attribuée au ministère
délégué aux affaires musulmanes.
Elle entrerait, dit-on, dans le cadre du verrouillage religieux dont un
certain cadi Mogueh Dirir se ferait l'instrument pour le compte du régime.
L'opinion y voit en effet la volonté de fermer les lieux de culte
que sont les mosquées à certains prêcheurs jugés
trop subversifs.
Décidément...
POLITIQUE
REGIONALE
CONFERENCE
DE RECONCILIATION SOMALIENNE : DES DIFFICULTES ELOQUENTES.
La conférence
de réconciliation somalienne convoquée par Monsieur Ismaël
Omar Guelleh pour le 20 avril 2000 et ouverte le 2 mai seulement du fait
d'un report de dernière minute, piétine. La première
phase, la phase dite de réconciliation intra et interclanique, dure
et perdure. Contrairement aux informations diffusées par la Radio
Télévision de Djibouti (RTD), les discussions ne semblent
pas avancer. D'où les reports répétés du passage
à la seconde phase, la phase dite politique. Elle devait, aux dernières
nouvelles, débuter le 6 juin 2000. Ce qui n'a pu se réaliser.
En réalité, les problèmes sont multiples et ne sont
pas liés aux seuls Somaliens. L'état d'esprit qui anime le
régime djiboutien, son approche malsaine, sa précipitation
délibérée, son organisation défaillante ...
sont autant de sources de difficultés. Un événement
révélateur s'est produit dimanche 4 juin 2000 à Arta.
Les employés locaux engagés pour les besoins de la conférence
se sont révoltés pour exiger leurs salaires. Ils ont récolté
la répression qui a fait deux blessés parmi eux. Les participants
somaliens ont assisté ahuris au spectacle qui n'a pas manqué
de réveiller en eux de douloureux souvenirs de la période
du général dictateur Mohamed Siad Barreh. Cela les a confortés
dans leurs doutes et aggravé leur déception... Autre événement
révélateur, les participants du Puntland et beaucoup d'autres
du pays Rahanweine ont claqué la porte de la conférence et
se sont déclarés en situation d'otages : selon les déclarations
sur la BBC de leurs autorités régionales, le régime
djiboutien les empêcherait de communiquer avec l'extérieur
et de rentrer chez eux.
Devant cette situation, qui n'incite pas à l'optimisme, il nous paraît
utile d'interpeller de nouveau les Somaliens et de les rappeler à
la vigilance. D'où la republication
de notre lettre ouverte aux Somaliennes et Somaliens.
LETTRE
OUVERTE AUX SOMALIENS (Réédition)
par
Daher Ahmed Farah
chers freres et soeurs,
Ne pouvant nous adresser
directement à vous, sous le chapiteau d'Arta où, selon le
régime djiboutien, des personnalités coutumières vous
représentant débattent pour vous réconcilier et dégager
les voies et moyens de mettre fin au drame que traverse votre cher pays
depuis maintenant une dizaine d'années, ne pouvant donc prendre la
parole devant vous, en dépit de notre demande expresse en ce sens,
du fait du régime de Monsieur Ismaël Omar Guelleh prompt à
museler les opposants, nous nous permettons de vous faire tenir cette lettre
ouverte par voie de presse.
C'est volontairement
que nous nous exprimons en français pour prendre à témoin
l'opinion publique nationale et internationale.
Comme vous pouvez
aisément l'imaginer, nous souhaitons, comme tous vos frères
et voisins djiboutiens, la fin de vos malheurs. Nous le souhaitons vivement,
du plus profond de notre être. D'où l'irrépressible
cri du cur et de la raison que nous poussons à travers ces
quelques modestes lignes.
Ce que nous souhaitons
souligner, c'est l'impérieuse nécessité pour les Somaliens
de parvenir à leurs objectifs : réconcilier le peuple somalien
et lui fournir les moyens de restaurer son Etat et de reconstruire son pays.
C'est là,
nous en convenons aisément, une vaste tâche qui ne peut souffrir
d'erreurs. Une tâche vitale dont le succès nous semble déterminant,
décisif, pour le destin de tout un peuple et de la nation qu'il forme
malgré tout.
Comme le dit si joliment
le dicton, " Arine aan la rogrogin rag ma heline (d'une affaire non
examinée, l'on ne peut dire que des hommes s'y sont penchés)
", avant de songer aux remèdes, il faut diagnostiquer le mal,
déterminer sa nature. Car à chaque mal correspondent ses remèdes.
D'où la nécessité,
dans toute entreprise de réconciliation somalienne, d'examiner sérieusement
la situation, de la considérer dans toute sa complexité, de
ne négliger aucun aspect essentiel. Il faut se donner le temps de
s'interroger ensemble, pour mieux appréhender les problèmes
et mieux entrevoir les solutions. Un bon diagnostic, c'est 50% du traitement,
disent les praticiens.
S'interroger sur
les causes profondes de la tragédie somalienne mais aussi sur les
raisons de son insoutenable persistance. Pourquoi et comment l'un des pays
phares de l'Afrique indépendante, fascinant à plus d'un titre,
en est-il arrivé à s'effondrer du sommet de ses succès
? Par quelle funeste alchimie le sort somalien s'est-il scellé ?
Pourquoi et comment le drame perdure-t-il depuis dix ans ? Pourquoi toutes
les tentatives de réconciliations, d'où qu'elles viennent,
ont-elles échoué... ?
Nous souhaiterions
pour notre part, dans le cadre de notre modeste intervention, nous attarder
un instant sur cette dernière question de la réconciliation,
car elle concerne l'objet de l'initiative que le chef du pouvoir djiboutien
affirme avoir prise au nom du peuple djiboutien et qu'il s'agit d'une entreprise
trop importante pour être laissée entre les mains d'un seul
homme. N'est-ce pas précisément l'exercice autocratique du
pouvoir d'Etat qui a fait de la Somalie ce qu'elle est et qui justifie cette
réconciliation nationale si vitale ? Laquelle, on ne le soulignera
jamais assez, ne pouvant en aucune façon faire l'économie
d'un examen approfondi autour des questions essentielles, du pourquoi et
du comment.
Nous ne pouvons nous
retenir de rappeler que pas moins de douze conférences de réconciliation
ont échoué depuis les débuts de la crise somalienne.
La première était organisée par la République
de Djibouti en juillet 1991 sous le régime du président Hassan
Gouled Aptidon dont Monsieur Ismaël Omar Guelleh était le bras
sécuritaire et l'un des tout proches collaborateurs.
Le point commun de
toutes ces conférences de réconciliation était leur
organisation par des pays tiers. Des pays certes frères ou amis,
interpellés sans doute par le drame somalien, mais des pays tiers
tout de même. Toutes ces conférences ont donc été
conçues et mises en oeuvre par des Etats tiers, souvent avec la complicité
active de certains acteurs somaliens.
Or, ces Etats organisateurs,
si liés soient-ils à la Somalie, n'ont pas forcément
les mêmes intérêts que les malheureux Somaliens livrés
à l'enfer sur terre. Un Etat digne de ce nom, disait un homme d'Etat
célèbre, n'a point d'amis, il n'a que des intérêts.
Du reste, il nous
est donné de constater que les régions somaliennes où
la paix est revenue sont celles où les Somaliens ont eux-mêmes
pris les choses en main, discutant sans intermédiaire de leurs problèmes
et trouvant entre eux une formule de vie collective. L'exemple du Somaliland,
suivi quelques années plus tard du Puntland, nous semble éloquent
.
Cela n'a d'ailleurs
rien d'étonnant pour qui connaît la société somalienne
et sa culture. Comme tous les Somalis (nous pouvons dire la même chose
des Afars, autre peuple de pasteurs nomades frère des Somalis), les
Somaliens sont les héritiers d'une riche culture de dialogue (de
démocratie pastorale, diraient les spécialistes) où
les différends internes se règlent par le verbe sous l'arbre
à palabres. De mémoire de pasteur nomade, il n'est pas de
conflit interne, de différend, qui n'ait fini par connaître
un heureux dénouement sous l'arbre à palabres. Les guerres
inter-claniques les plus meurtrières ont toujours fini par cesser
lorsque les protagonistes, l'explosion passionnelle passée, ont repris
langue. La paix retrouvée se scellant souvent par des mariages entre
jeunes gens et jeunes filles des deux groupes réconciliés.
Une façon de consolider la paix civile par un resserrement des liens
du sang.
N'est-ce pas, du
reste, au nom de cette culture que le régime de Monsieur Ismaël
Omar vient d'engager directement le dialogue avec l'opposition armée
djiboutienne (alliée à l'opposition civile) du FRUD présidée
par Monsieur Ahmed Dini Ahmed en terre djiboutienne ?
Voilà pourquoi
nous pensons que seuls les Somaliens, en prenant véritablement leurs
affaires en main, peuvent parvenir à une authentique réconciliation
qui débouche sur une réelle renaissance somalienne. Nous le
pensons d'autant plus fort que de nombreux indices nous amènent à
douter de la sincérité de l'initiative de paix de Monsieur
Ismaël Omar Guelleh, un Djiboutien que nous autres Djiboutiens connaissons
tout de même mieux que nos frères somaliens.
En mal de légitimité
à l'intérieur des frontières nationales où il
a usurpé le pouvoir d'Etat, Monsieur Guelleh a certainement cru trouver
dans la tragédie somalienne matière à acquérir
quelque crédit international et à capter de l'aide financière.
Il a alors entrepris de prôner pour les Somaliens une réconciliation
nationale, celle-là même qu'il fuyait dans son propre pays
et avec ses propres concitoyens, massivement opposés à sa
prise du pouvoir.
L'initiative de paix
de Monsieur Ismaël Omar est en effet survenue au lendemain de l'élection
présidentielle djiboutienne qui a donné lieu à un véritable
hold up électoral au profit de ce dernier et aux dépens de
son adversaire unique, Monsieur Moussa Ahmed Idriss, figure historique soutenue
par l'ensemble des forces de l'opposition, y compris le FRUD du président
Ahmed Dini Ahmed.
C'est au moment même
où Monsieur Ismaël Omar Guelleh annonçait son "
plan de paix pour la Somalie " de la tribune des Nations Unies, que
son appareil répressif, en un dispositif des plus impressionnants,
donnait l'assaut contre le domicile du paisible Moussa Ahmed Idriss, faisant
un mort en la personne de son fils adoptif, Youssouf Ismaël, et plusieurs
blessés dont ses propres épouse Saada Elmi et fille Aicha
Moussa Ahmed Idriss.
La tonalité
du " message de paix " du fils de Omar Guelleh n'était
pas de nature à rassembler et trahissait, dans sa formulation du
moins, cette arrogance instinctive des disciples issus du moule de la facilité.
Bientôt, il
apparaissait clairement que son " initiative de paix " n'avait
pas été précédée des efforts et contacts
de terrain préparatoires. Sahan n'avait été effectué
: sahan, ce mot somali, signifie la mission de reconnaissance qu'effectue
le pasteur nomade avant de décamper, soucieux de s'assurer de l'hospitalité
de la zone de transhumance pressentie pour le déplacement pastoral
du campement.
C'est à posteriori
que Monsieur Ismaël Omar courra à gauche et à droite
vers les pays, régions et organisations du monde intéressés
par la question de la réconciliation somalienne. Tandis que les premiers
intéressés, les Somaliens, apprendront l'entreprise de paix
dont ils font l'objet par voie de presse. C'est à quelques jours
seulement de la date du 20 avril 2000, date retenue par le pouvoir djiboutien
pour le début de la conférence de réconciliation, que
s'envoleront de Djibouti vers les régions somaliennes, c'est-à-dire
vers le véritable terrain à traiter, les premières
délégations de Monsieur Ismaël Omar. Provoquant de vives
réactions de rejet de la part des principales régions somaliennes
: Somaliland, Puntland, des secteurs importants de Mogadiscio et de sa région
Benadir, etc.(lire à ce sujet notre article sur la question au Renouveau
n°356 du 20 avril ), notamment ceux contrôlés par les chefs
de factions Houssein Aïdid, Omar Ato, Ganyareh Afrah, etc.
Il faut dire que
l'opinion publique somalienne, hormis quelques voix complaisantes, se montrait
sceptique dès l'annonce d'un " plan de paix " auquel rien
ne l'avait préparée et dont elle ignorait les tenants et les
aboutissants.
Quant au peuple djiboutien,
au nom duquel Monsieur Ismaël Omar affirme entreprendre ses démarches,
il est tenu dans l'ignorance la plus totale de " l'initiative de paix
". Il doit se contenter de la propagande éculée puant
le culte de la personnalité de Monsieur Guelleh, que relaient certains
journalistes du service somali de la BBC connus sous nos cieux pour leurs
relations privilégiées avec le régime djiboutien.
Aucun intellectuel
djiboutien indépendant, aucun responsable politique de l'opposition,
aucune autorité morale respectée, ne sont associés.
En dehors de quelques courtisans bassement alimentaires, c'est la solitude
qui, comme d'ordinaire, prévaut autour de cette entreprise du régime,
dans un pays pourtant connu pour sa proximité du peuple somalien
auquel il est d'ailleurs reconnaissant de son soutien décisif à
la lutte nationale pour l'Indépendance.
Interrogé
sur les ondes du service somali de la BBC, où un journaliste relèvera
l'impréparation et le calendrier trop court de la réconciliation,
Monsieur Ismaël Omar Guelleh répondra qu'il va justement vite
pour éviter les palabres, les difficultés, les résistances...
Curieuse conception
de la réconciliation qui nous a laissés stupéfaits,
mais qui n'a finalement guère étonné sous nos yeux
où l'on connaît bien l'homme.
Tous ces facteurs
ont fait que la conférence débute sous de mauvaises auspices
: report in extremis de la conférence initialement prévue
pour le 20 avril 2000 au 2 mai 2000 ; difficultés liées à
l'impréparation dont les divergences entre les participants somaliens
; dépassement du délai de 15 jours fixé pour la conférence
; soutien peu visible de la communauté internationale ; faible participation
des Somaliens (le Somaliland est absent, le Puntland est défiant,
le Benadir en grande partie hostile, les Rahanwene se tiennent sur leurs
grades) ; les appels incessants de Monsieur Guelleh à la communauté
internationale pour un soutien financier ne semblent pas suivis d'effets...
C'est pour toutes
ces raisons que nous autres Djiboutiens doutons de la sincérité
de Monsieur Ismaël Omar Guelleh.
Or, les Somaliens
nous sont, pour nous autres Djiboutiens, très chers et ne souhaitons
en aucune manière voir exploiter leurs malheurs à des fins
inavouables. Nous voulons les voir sortir définitivement de la situation
insoutenable où ils ont sombré. Et nous savons que c'est chose
possible, d'autant plus possible que dix ans de souffrances sans nom ont
épuisé le peuple somalien, rendant ardente son aspiration
à la paix et à la réconciliation. Paix véritable
et réconciliation réelle. Non quelque simulacre que ce soit.
Les chances de la
paix et de la réconciliation somaliennes sont donc réelles
et elles ne doivent en aucune manière être gaspillées.
Nul n'en a le droit.
Voilà pourquoi
nous lançons un appel pressant, un appel du cur et de la raison,
aux Somaliens où qu'ils soient. Nous les appelons à voir la
réalité en face et à prendre leurs responsabilités.
Nous les appelons à reprendre l'initiative et à se réapproprier
le débat sur leur propre destin. Vous pouvez prendre Monsieur Ismaël
Omar Guelleh au mot (officiellement, Djibouti se contente de vous offrir
l'hospitalité pour permettre vos retrouvailles) et vous emparer de
son initiative pour la repenser et la faire vôtre. Qu'elle ait permis
aux chefs traditionnels de reprendre langue à Arta ou non, cette
réunion ne vous empêchera pas d'aller plus loin et d'enclencher
une authentique dynamique de paix et de réconciliation adaptée
à vos rythmes et à vos réalités concrètes.
Quitte à prolonger les palabres (shirs) chez vous sur le terrain,
comme au Somaliland.
La communauté
internationale vous soutiendra si vous le méritez. En d'autres termes,
aidez-vous et le monde vous aidera.
C'est de vous tous,
et de vous seuls, qu'il dépend que cette énième occasion,
quelles que soient les motivations inavouables de Monsieur Guelleh, ne soit
pas qu'une réunion de plus. Ou un prétexte pour vous satelliser
et piller. Vous pouvez la transformer en une véritable réconciliation...
Notre modeste soutien
et celui du peuple frère djiboutien vous sont acquis. Pour vous aider
de manière sincère et désintéressée .
Par avance, merci
de votre attention.
Très fraternellement
à vous.
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